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vement irrésistible des idées nous déborde et nous entraîne. Notre vieille organisation sociale, condamnée par l’opinion, en désaccord avec les institutions et les progrès du siècle, chancèle sur ses bases et menace de nous ensevelir sous ses ruines. Assisterons-nous à ce grand désastre en spectateurs impuissants, ou bien chercherons-nous, par quelque résolution héroïque, à en atténuer les malheurs ? Je m’adresse à une assemblée chez laquelle les instincts généreux n’ont jamais fait défaut, et qui jamais n’a prétendu défendre l’esclavage pour lui-même, ni en perpétuer la tradition ; je m’adresse à elle avec une conviction profonde et réfléchie.

Messieurs, ne nous laissons pas entraîner par le torrent, quand nous pouvons encore le diriger. Ne laissons pas tout détruire, quand il nous reste une chance de tout sauver. Ne nous laissons pas imposer par la violence ce que nous pouvons faire librement et volontairement. N’acceptons pas le triste rôle de vaincus ! Rendons inutile, entre nous et nos esclaves, une intervention qui aurait pour effet de s’emparer du bénéfice de leur gratitude, en rejetant sur nous l’odieux de la résistance. Plaçons-nous hardiment et d’un seul pas à la tête de la civilisation coloniale, et marchons dans cette voie nouvelle avec le calme et la force que donnent toujours les situations nettes et bien tranchées.

Le gouvernement, Messieurs, ne peut vouloir la perte de ses colonies ; il saura nous préserver des dangers d’une précipitation funeste et nous garantir contre toute usurpation du droit inviolable de la propriété. Mettons-nous avec confiance sous son égide. Travaillons, de concert avec lui, à préparer les bases de notre transformation future, et à en assurer le succès par une puissante organisation du travail, ce pivot des sociétés. Partisans d’une émancipation intelligente et féconde, mettons, sans arrière-pensée, notre expérience et nos lumières au service de cette grande cause ; mais que la prudence et la sagesse soient nos seules conseillères ! Organisons avant de détruire. En appelant toute une population aux bienfaits de la liberté, qu’aucun effort ne nous coûte pour lui épargner, dans l’avenir, les luttes et les misères du prolétariat, ce fléau des sociétés modernes.