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— Que vous êtes faible, oncle Jean ! répliqua Mathias avec une nuance d’ironie ; si le mal a pris racine en elle, ce n’est pas avec un morceau de beurre qu’on en triomphera.

— Hé bien, hé bien, répondit le vieillard à demi en colère, si cela ne va pas par la bonté… nous verrons.

En disant ces mots il se leva, se dirigea vers la porte et continua en toussant :

— Je vais là-haut ; je suis fatigué. À midi !… et ne mets pas trop de sel dans les navets.

— Ils sont gelés, oncle Jean !

— Ils seront d’autant plus tendres, Mathias… et prends le même pot, il est encore tout rempli de graisse.

L’oncle disparut. Un instant après, on entendit le bruit de ses pas dans l’escalier.

Mathias demeura l’oreille aux aguets jusqu’à ce qu’il eût entendu fermer deux ou trois portes.

Alors son attitude changea soudain. Son dos à demi voûté se redressa, un sourire railleur contracta ses lèvres, ses yeux roulèrent rapidement sous les sourcils… il semblait heureux comme s’il venait de remporter une victoire.

Il s’approcha, sur la pointe des pieds, du garde-manger, y prit un pain plus qu’à demi blanc, et en coupa une épaisse tranche, sur laquelle il étendit un demi-doigt de beurre au moins : les yeux étincelants et toujours souriant, il y mordit à belles dents, et engloutit en un instant le pain avec une gloutonnerie inouïe. Il ferma le garde-manger, remit tout en place, et alla s’asseoir sous la cheminée, où il posa de la tourbe sur le