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de bon cœur aux dépens du comte, et ce léger incident arracha toute la troupe à son engourdissement.

Messire de Châtillon, qui avait remis son cheval sur pied, ne put souffrir longtemps les quolibets qui lui étaient adressés, et, après avoir vainement tenté de leur imposer silence, il fut tout à coup saisi d’une si vive colère, qu’il enfonça son éperon[1] dans les flancs de sa monture. Le cheval, rendu furieux par la douleur, se cabra, se dressant debout sur ses pieds de derrière, puis s’élança comme une flèche à travers les arbres. Mais, à quelques centaines de pas, il se heurta contre le tronc d’un vieux chêne, et, grièvement blessé, il s’abattit sur l’herbe.

Heureusement le comte conserva son sang-froid ; mais au moment du choc, soit que de lui-même il fût sauté de selle, ou qu’il eût été violemment lancé contre un arbre, il dut s’être sérieusement blessé ; car il resta quelques instants étendu sans faire aucun mouvement.

Dès que ses compagnons l’eurent rejoint, ils descendirent tous de cheval et le relevèrent en lui prodiguant les marques du plus vif intérêt. Le chevalier qui avait fait la première plaisanterie, semblait en ce moment le plus inquiet, et une profonde tristesse se peignait sur son visage.

— Pardonne-moi mes paroles étourdies, lui dit-il ; il n’était pas dans ma pensée de t’insulter.

  1. Les chevaliers ne portaient alors qu’un seul éperon.