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cœur longtemps éprouvé ! Combien on oublie vite ses peines pour embrasser un bonheur incertain, comme si le calice de l’adversité était déjà vide, tandis que le plus amer, la lie, reste encore au fond ! On voit un sourire sur toutes les lèvres, on serre la main de tous ceux qui semblent se réjouir de notre bonheur. Mais ne vous appuyez pas sur la roue de la trompeuse fortune ; ne vous fiez pas à la physionomie de ceux qui étaient vos ennemis, dans les jours de votre adversité. L’envie et la trahison se cachent sous ces visages à double face, comme le serpent sous les fleurs et le scorpion sous le fruit doré de l’ananas. En vain cherche-t-on, sur l’herbe, la trace de la vipère : on ressent sa morsure et l’on ne sait pas comment elle est venue jusqu’à nous. De même, les jaloux et les envieux ourdissent leurs travaux dans l’ombre ; car ils connaissent leur propre perversité et rougissent de leurs mauvaises actions. Leurs traits nous frappent au cœur, et nous les croyons nos amis, parce que nous ne pouvons lire dans leur regard trompeur, l’horrible noirceur de leur âme ; ils s’enveloppent de mystère et de duplicité comme d’un impénétrable voile ; l’insecte venimeux se montre parfois au grand jour, mais eux, jamais !

Le comte Guy prenait déjà les dispositions nécessaires pour exécuter les ordres du roi et faire, dès son retour en Flandre, oublier par une longue paix les malheurs de la guerre. Robert de Béthune, lui-même, ne doutait plus de la grâce promise ; car de-