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vôtres, répondit, le vieux boucher, je n’en ai pas moins une hache qui a l’habitude de mordre depuis longtemps. Je parierais avec vous vingt mesures de vin à celui qui enverra en enfer le plus de Français.

— C’est fait, s’écria un autre ; nous allons les boire tout de suite ; je vais les chercher.

— Un instant, dit Breydel en intervenant, restez en place. Buvez demain ; car, je vous le déclare, le premier qui s’enivre, je le fais jeter en prison à Courtray : il n’assistera pas à la bataille.

Cette menace produisit sur les bouchers un effet étonnant : les paroles s’éteignirent sur leurs lèvres, et plus un d’eux ne bougea ; le vieux boucher seul osa encore parler :

— Par la barbe de notre doyen, s’écria-t-il, si pareille chose devait m’arriver, je préférerais être rôti tout vif sur un gril, comme cela est arrivé jadis à monseigneur saint Laurent ; car, de ma vie, je n’aurai occasion de revoir pareille fête.

Breydel s’aperçut que sa menace avait frappé tous les assistants de crainte et de tristesse : cela lui déplut d’autant plus, que lui-même était enclin à la gaieté. Dans le but de réveiller chez ceux qui l’entouraient l’élan et la joie, il saisit la cruche, et, remplissant successivement les hanaps, il dit :

— Eh bien, mes gars, pourquoi vous taisez-vous ? Tenez, prenez et buvez, et que le vin vous rende la parole. Je suis fâché de vous avoir parlé comme je viens de le faire. Est-ce que je ne vous connais pas ?