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quante de ses hommes ; ils étaient assis tous sur de petits sièges de bois autour d’une table, sous le toit qui devait les garantir contre la rosée et la pluie ; leurs haches, sous le reflet du feu, flamboyaient dans leurs mains, comme des armes de feu ; On voyait au dehors les sentinelles se promener dans les ténèbres. Une grande cruche de vin et un certain nombre de hanaps d’étain se trouvaient devant eux sur la table, et, bien qu’il ne leur fût pas interdit de boire, on pouvait voir néanmoins qu’ils le faisaient avec modération, car ils portaient rarement les hanaps à la bouche. Ils riaient et jasaient joyeusement et racontaient d’avance les beaux coups qu’ils comptaient porter à l’ennemi dans la bataille imminente.

— Qu’on dise encore, s’écria Breydel, que les Flamands ne ressemblent pas à leurs pères, alors qu’une armée telle que la nôtre se réunit de bonne volonté ! Que les Français viennent avec leurs soixante-deux mille hommes ! Plus il y aura de gibier, meilleure sera la chasse. Ils disent que nous sommes un tas de misérables chiens ; mais qu’ils prient Dieu que ces chiens ne les mordent pas, car ils ont bonnes dents !

Les bouchers rirent de bon cœur de cette sortie ironique de leur doyen ; ils regardaient à dessein un vieux compagnon, dont la barbe grise attestait le grand âge. L’un d’eux lui cria :

— Et toi, Jacques, ne saurais-tu plus mordre ?

— Si mes dents ne sont plus aussi bonnes que les