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Il était lui-même en proie à une inquiète agitation ; on eût dit qu’un pressentiment du malheur qui lui était arrivé serrait son cœur d’avance : il s’élança impétueusement vers les cadavres et arracha le drap qui leur couvrait le visage.

Quel terrible spectacle frappa son regard, ô mon Dieu !… Pas une plainte ne s’échappa de sa poitrine, pas un mouvement ne se fit dans tout son corps : il était comme foudroyé. Il devint plus pâle que les cadavres étendus devant lui, et ses cheveux se dressèrent sur sa tête ; son regard fixe, immobile, s’attachait avec obstination sur l’œil vitreux des mortes ; ses lèvres s’agitaient convulsivement, et l’on eût dit qu’il allait mourir…

Il ne demeura dans cet état que quelques instants ; bientôt un rauque soupir déchira sa gorge. Il s’élança désespéré vers ses compagnons, et, levant les deux bras au ciel, il s’écria d’une voix brisée :

— Oh ! malheur ! malheur !… ma pauvre vieille mère ! mon infortunée sœur !

À ces mots, il se jeta dans les bras de de Coninck, et, épuisé de forces, s’appuya sur le sein de son ami. Il promenait autour de lui des yeux égarés, et faisait frémir tous les spectateurs d’angoisse et de pitié. Dans sa sombre fureur, il porta à sa bouche la hache qu’il tenait en main et, comme un enragé, mordit avec une telle force dans le manche, qu’un morceau de bois resta entre ses dents ; on se hâta de lui en lever cette arme dangereuse. De Coninck donna