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de qui vous avez passé plusieurs heures lundi, et sur la dénonciation duquel vous avez été arrêté… avait-il eu connaissance de votre intention de commettre un meurtre politique ? – Le prisonnier refuse de répondre… La question est réitérée. – Le prisonnier garde le même silence obstiné. »

« Le vénérable chapelain de la Forteresse est alors introduit, et exhorte le prisonnier au repentir ; il le supplie de racheter son crime par une confession totale et sans réticence, qui pourrait aider à libérer notre pays, si attaché au Christ, du péché de rébellion contre les lois divines et la Majesté sacrée de son Chef ; – le prisonnier, pour la première fois, au cours de l’audience, ouvre la bouche, et repousse d’une voix haute et claire, les exhortations du vénérable chapelain. »

« À onze heures, la Cour rend une sentence de mort. L’exécution est fixée pour quatre heures de l’après-midi, sauf instructions ultérieures des autorités suprêmes. »

Le conseiller Mikulin laissa tomber la feuille de papier, regarda sa barbe, et se tournant vers Razumov, ajouta d’un ton calme, en manière d’explication :

« Nous n’avons pas vu de raison de différer l’exécution. Ordre a été envoyé par le télégraphe, à midi, de donner suite à la sentence. J’ai rédigé la dépêche moi-même. Le condamné a été pendu à quatre heures, cet après-midi. »

L’annonce certaine de la mort de Haldin valut à Razumov la sensation de lassitude profonde qui accompagne un violent effort ou une grosse émotion. Il resta immobile sur le canapé, mais un murmure lui échappa :

« Il croyait à une existence future. »

Le conseiller Mikulin haussa légèrement les épaules ; et Razumov se leva avec un effort. Il n’avait plus maintenant aucune raison de rester dans cette chambre : Haldin avait été pendu à quatre heures, le fait était certain. Il était entré tout entier, dans son existence future, avec ses longues bottes, sa toque d’Astrakhan et toute sa défroque, avec la ceinture même de cuir qui lui serrait la taille. Dans une existence confuse et vacillante. Ce n’était pas son âme, c’était son fantôme seul qu’il avait laissé sur la terre, pensait Razumov avec un sourire ironique en traversant la pièce, dans un oubli total de l’endroit où il se trouvait et de la présence du conseiller Mikulin. Celui-ci aurait pu sans quitter sa chaise, mettre en branles un jeu de sonnettes dans tout l’édifice. Mais il laissa Razumov aller jusqu’à la porte, avant d’élever la voix :