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témoignaient d’une telle croyance, et conclut que Razumov avait dû s’entretenir souvent avec Haldin sur ce sujet.

« Non », fit Razumov, d’une voix forte, sans lever les yeux ; « Il parlait et j’écoutais ; ce n’est pas là une conversation. »

« Savoir écouter est un grand art », observa Mikulin, en manière de parenthèse.

« Et savoir faire parler les gens en est un autre », murmura Razumov.

« Oh non, cela n’est pas bien difficile ! » fit Mikulin, avec simplicité, « en dehors de certains cas, bien entendu, tels que celui de cet Haldin… Rien n’a pu le décider à parler. Quatre fois il a été amené devant ses juges ; quatre interrogatoires secrets ; et même pendant le dernier, lorsqu’il a été question de vous… »

« Question de moi ? » répéta Razumov en levant brusquement la tête. « Je ne comprends pas. »

Le conseiller Mikulin se tourna vers la table et saisit quelques feuilles de papier gris qu’il laissa retomber l’une après l’autre, pour ne garder à la main que la dernière ; il la tenait devant ses yeux tout en parlant :

« Nous avons considéré la chose comme nécessaire, vous pouvez le comprendre. Dans un cas de cette gravité, on n’a le droit de négliger aucun moyen d’action sur le coupable. Vous vous en rendez compte, j’en suis certain… »

Razumov fixait des yeux dilatés sur le profil du conseiller Mikulin, qui ne le regardait plus.

« Aussi a-t-on décidé (j’ai été consulté par le général T…) de poser à l’accusé une certaine question. Mais, pour répondre au désir exprimé par le prince K…, votre nom n’a pas paru dans les documents, restant ainsi ignoré des juges eux-mêmes. Le prince K… a reconnu la logique, la nécessité de nos intentions, mais il s’inquiétait à votre sujet. Tout peut se savoir, il faut bien l’avouer. On ne peut pas répondre toujours de la discrétion des subalternes. Il y avait, naturellement, dans la pièce, le secrétaire du tribunal spécial, ainsi qu’un ou deux gendarmes. Aussi, comme je vous l’ai dit, les juges eux-mêmes devaient-ils rester dans l’ignorance. La question à poser leur fut envoyée par le général T… (je l’avais rédigée de ma propre main) avec ordre de la poser au prisonnier en tout dernier lieu. La voici » :

Le conseiller Mikulin rejeta la tête en arrière, pour trouver une position commode, et se mit à lire d’une voix monotone :

« Question : L’homme que vous connaissez bien, dans la chambre