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de ne point bouger d’ici, avant que l’on ne vous ait dit ce que vous deviez faire. »

Razumov haussa les épaules.

« Je suis venu de mon plein gré ! »

« C’est possible. Mais vous ne partirez pas, sans qu’on vous le permette », répliqua l’autre.

Il fit un signe de la main, appelant « Louisa, Louisa ! venez ici, s’il vous plaît ! » et l’une des filles de Lespara (celle qui était assise derrière le samovar, et de là regardait Razumov), s’avança entraînant derrière elle les volants tachés de sa robe en loques ; elle apportait une chaise qu’elle appliqua contre la porte, et s’y assit, les jambes croisées. Le jeune homme la remercia avec effusion et alla rejoindre un groupe d’individus qui poursuivaient à voix basse une discussion animée. Razumov eut un instant d’absence.

Une voix aiguë s’écria : « Confession ou non, vous n’en êtes pas moins un espion de la police ! »

Le révolutionnaire Nikita s’était frayé un chemin jusqu’à Razumov et se tenait devant lui, avec ses grosses joues blêmes, son ventre lourd, son cou de taureau et ses mains énormes. Razumov eut pour le fameux tueur de gendarmes un regard de dégoût silencieux.

« Et vous, qu’êtes-vous donc ? » fit-il très bas, puis il ferma les yeux et appuya contre le mur le dos de sa tête.

« Vous feriez mieux de vous en aller maintenant », fit près de lui une voix douce et triste ; Razumov ouvrit les yeux : son bienveillant interlocuteur était un homme âgé dont les cheveux dressés en longue brosse formaient autour de là figure fine et intelligente, un halo d’argent. « Pierre Ivanovitch sera informé de votre conduite, et l’on vous dira… »

Puis se tournant vers Nikita, surnommé Nécator, qui se tenait à ses côtés, il en appela à lui, en murmurant :

« Qu’est-ce que nous pourrions faire d’autre ? Après un tel aveu, il ne peut plus être dangereux. »

L’autre grommela : « Il vaudrait mieux s’en assurer, avant de le laisser partir. Laissez-moi arranger la chose. Je sais ce qu’il faut faire avec des Messieurs de ce genre. »

Il échangea des regards significatifs avec deux ou trois hommes, qui répondirent par un signe de tête, puis, se tournant vers Razumov, il lui dit rudement : « Vous avez entendu ? On n’a plus besoin de vous ici. Pourquoi ne partez-vous pas ? »