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Il baissa lentement la tête, en manière d’assentiment « Tout simplement ! »

Il avait, peu à peu, cessé de se cramponner au barreau de la porte, comme s’il avait eu la conviction qu’aucun coup, tiré à l’aventure, ne pouvait l’abattre, désormais. Et, brusquement, il se sentit poussé à ajouter : « La neige tombait très drue, vous savez. »

Elle fit, de la tête, un léger mouvement d’approbation, comme si l’expérience de telles entreprises l’avait amenée à s’y mieux intéresser et à en apprécier tous les détails, en professionnelle.

Razumov entendit dans sa tête l’écho de paroles anciennes :

« J’ai pris une petite rue latérale, comprenez-vous ? » poursuivit-il d’un ton détaché. Puis il se tut un instant, comme si ces détails ne valaient pas d’être rapportés. Pourtant, il en retrouva un dans son souvenir, dont il fit part à sa compagne, en manière d’aumône dédaigneuse consentie à sa curiosité.

« J’éprouvais le besoin de m’allonger par terre pour dormir ! »

Très frappée de ses paroles, elle fit claquer sa langue.

« Mais ce cahier, ce cahier stupéfiant ! » ajouta-t-elle. « Vous ne me direz pas que vous l’aviez, à l’avance, fourré dans votre poche ? »

Razumov eut un tressaillement, que l’on aurait pu prendre pour un signe d’impatience.

« Je suis passé chez moi. J’ai regagné mon logis tout droit », répondit-il, sans hésitation.

« Eh bien vous avez du sang-froid ! Vous avez osé… ? »

« Pourquoi pas ? Je vous assure que j’étais parfaitement calme. Oui ! Plus calme que maintenant, peut-être ! »

« Je vous aime beaucoup mieux comme ceci, que lorsque vous vous laissez aller à votre humeur amère, Razumov. Et dans la maison, personne ne s’est aperçu de votre retour ? On aurait pu trouver étrange… »

« Personne », fit Razumov, d’un ton ferme. « Dvornik, logeuse, servante, je n’ai rencontré personne sur mon chemin. J’ai gravi l’escalier comme une ombre. C’était une matinée obscure, et tout était sombre. Je glissais comme un fantôme. Destin ? Chance ? Qu’en pensez-vous ? »

« Il me semble vous voir », répondit la révolutionnaire, dont les yeux brillaient d’un feu sombre. « Et après ?… vous avez réfléchi ?… »

Razumov avait ses réponses toutes prêtes, maintenant.

« Non. J’ai regardé ma montre, puisque vous voulez tout savoir.