douloureux, se complaisant à l’idée d’une immense solitude morale et spirituelle. Il n’eut même pas un sourire en entendant la femme répéter :
« Oui, un caractère bien trempé ! »
Il regardait toujours à travers les barreaux, captif mélancolique, qui ne songerait pas à s’enfuir, mais rêverait aux souvenirs flétris d’un passé d’indépendance.
« Si vous ne faites pas attention », gronda-t-il, les yeux toujours au loin, « vous ne trouverez même plus l’ombre de ce thé ! »
Mais elle n’entendait pas se laisser congédier ainsi, et il n’avait guère compté non plus la voir partir.
« Tant pis ! ce ne sera pas une grosse perte que celle d’une tasse de thé ou de l’ombre que l’on aurait pu m’en offrir ! Quant à la dame elle-même, vous comprenez bien qu’elle a son utilité positive. Vous comprenez cela, Razumov ? »
Cet appel impérieux fit tourner la tête au jeune homme, qui vit la révolutionnaire faire le geste de compter de l’argent dans la paume de sa main.
« C’est pour cela, voyez-vous !… »
« Oui, je vois ! » fit lentement Razumov, avec un nouveau regard de prisonnier vers la route paisible et ombragée.
« Il faut, d’une façon ou de l’autre, trouver des ressources matérielles, et c’est un moyen plus pratique que le cambriolage des banques, plus pratique et plus sûr aussi… Mais me voici partie à plaisanter… Qu’est-ce qu’il marmotte entre ses dents, maintenant ? » s’écria-t-elle d’une voix étouffée.
« Je proclame mon admiration pour le sacrifice et le dévouement de Pierre Ivanovitch ! cela fait mal au cœur ! »
« Oh l’être délicat, et bien masculin ! Mal au cœur, cela lui fait mal au cœur ! Et que savez-vous de la vérité profonde ? Prétendez-vous pénétrer dans le secret des âmes ? Pierre Ivanovitch a connu cette femme, voici bien des années, au temps de sa vie mondaine, lors qu’il était jeune officier des Gardes. Il ne nous appartient pas de juger un homme inspiré. C’est ce qui fait votre privilège, à vous autres hommes. Vous êtes parfois inspirés, dans vos pensées et dans vos actes ! J’ai toujours concédé que lorsque vous êtes réellement inspirés, et lorsque vous savez vous départir de votre lâcheté et de votre pruderie masculines, vous ne pouvez être égalés par aucune femme ! Seulement, comme c’est chose rare !… Tandis que la plus sotte des femmes sait