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« Certainement, de telles visites ne peuvent pas vous coûter un gros effort ! »

Il se détourna pour se pencher au-dessus du parapet, le dos tourné vers moi. J’attendis un instant, mais à ce moment-là je n’avais aucun désir, je puis bien l’affirmer, de revoir son visage. Il ne bougeait pas ; il ne voulait pas bouger. Je poursuivis lentement mon chemin vers la gare et, arrivé au bout du pont, je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule. Non, le jeune homme n’avait pas bougé. Il restait penché au-dessus du parapet, captivé, semblait-il, par le cours égal de l’eau qui passait sous ses yeux. Le courant, à cet endroit, est rapide, excessivement rapide, et donne le vertige à bien des gens ; je ne puis moi-même le regarder longuement sans éprouver la crainte de me voir brusquement emporté par sa force destructrice. Il y a des cerveaux qui ne peuvent résister à la suggestion d’une puissance irrésistible et d’un mouvement continu.

Mais il faut croire qu’il y avait là un charme pour M. Razumov. Je le laissai penché très avant au-dessus du parapet. Il était impossible d’attribuer au seul défaut d’éducation la façon dont il s’était comporté à mon égard. Il y avait quelque chose d’autre sous ses manifestations de mépris et d’impatience. Peut-être, pensais-je en touchant brusquement à la vérité cachée, peut-être était-ce la même raison qui l’avait empêché, pendant plus d’une semaine, pendant près de dix jours de venir trouver Mlle Haldin. Mais quelle pouvait être cette raison, je n’aurais su le dire.