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Nous marchâmes quelque temps à pas lents, en silence.

« Vous savez », lançai-je brusquement, « si vous ne voulez rien me raconter, dites-le franchement, et ce sera, bien entendu, chose réglée. Mais je ne veux pas jouer au plus fin, et je vous demande nettement tous les détails de votre visite. »

Elle sourit faiblement de mon accent énergique.

« Vous êtes curieux comme un enfant ! »

« Non, je ne suis qu’un vieil homme inquiet », répliquai-je, avec un ton de conviction.

Elle posa son regard sur moi, comme pour s’assurer du degré de mon inquiétude, ou de ma vieillesse. Ma physionomie n’a, je crois, jamais été bien expressive, et le nombre de mes années n’est pas suffisant pour me valoir un aspect marqué de décrépitude. Je n’ai ni la longue barbe d’un bon ermite de ballade romantique, ni le pas vacillant ou la mine d’un sage courbé et vénérable. Je ne puis prétendre à ces avantages pittoresques et ne suis vieux, hélas, qu’avec vigueur et banalité. Je crus saisir une nuance de pitié dans le regard prolongé que Mlle Haldin laissait tomber sur moi. Elle marcha un peu plus vite.

« Vous me demandez tous les détails. Voyons ; je devrais les avoir présents à l’esprit ; tout cela est assez nouveau pour… une petite provinciale comme moi. »

Après un instant de silence, elle commença par me dire que le château Borel était presque aussi négligé à l’intérieur qu’à l’extérieur. Rien d’étonnant à cela, d’ailleurs. C’était, me semble-t-il, un banquier de Hambourg, retiré des affaires, qui l’avait fait construire, pour charmer ses derniers jours devant le spectacle de ce lac, dont la beauté nette, régulière et « comme il faut » devait paraître attrayante à l’imagination pondérée d’un homme de chiffres. Mais le banquier était mort très vite, et sa femme était partie aussi (seulement pour l’Italie), si bien que cette bâtisse, où l’on avait voulu acheter la paix, était restée vide pendant plusieurs années, et ne semblait jamais devoir se vendre. On y accédait par une route de graviers, qui contournait une vaste pelouse naturelle, et donnait au visiteur tout loisir pour observer les dégradations de la façade en stuc.

L’impression générale, me dit Mlle Haldin, était déplaisante et devenait même oppressante à mesure que l’on s’approchait davantage.

Elle avait vu des taches de mousse verdie sur les degrés de la terrasse ;