craignant qu’elle ne se berçât de quelque impossible espoir. Mais je me trompais.
« Songez un peu ! un tel ami ! Le seul homme dont mon frère ait jamais parlé dans ses lettres. Il aura bien quelque chose à me donner, quand ce ne seraient que quelques pauvres paroles. Peut-être un mot, une pensée des derniers jours. Voudriez-vous me voir tourner le dos à tout ce qui me reste de mon pauvre frère… à son ami ? »
« Certes non », protestai-je, « et je puis parfaitement comprendre votre pieuse curiosité. »
« Des hommes à l’existence pure, noble et solitaire », murmura-t-elle doucement. « Il y en a ; il y en a ! Eh bien c’est l’un d’eux que je pourrai interroger sur notre cher mort ! »
« Mais pourquoi croyez-vous devoir le rencontrer au château ? Pensez-vous qu’il y habite en qualité d’hôte ? »
« Je ne saurais le dire », avoua-t-elle. « Il a apporté une lettre d’introduction du Père Zozime, qui est aussi, paraît-il, un ami de Mme de S… Il faut croire que ce n’est pas une femme aussi méprisable, en somme. »
« On a fait courir bien des bruits sur le compte du Père Zozime lui-même », observai-je.
Elle haussa les épaules.
« La calomnie est encore une arme de notre gouvernement ; c’est un fait bien connu ! Oui, je sais : le Père Zozime a été protégé par un gouverneur général de Province. Je me souviens d’avoir discuté ce sujet avec mon frère, il y a deux ans. Mais son œuvre était bonne. Et il est proscrit aujourd’hui. Peut-on exiger preuve meilleure ? Peu importe d’ailleurs ce que fut ou ce qu’est ce prêtre : cela n’a rien à voir avec l’ami de mon frère. Si je ne le rencontre pas au Château, je demanderai son adresse. Et naturellement, il faudra qu’il vienne voir ma mère aussi, plus tard. Comment deviner ce qu’il pourra nous dire ? Quelle grâce, si ses paroles devaient apaiser ma mère ! Vous savez les idées qu’elle se forge. Peut-être pourrait-on lui donner une explication, l’inventer au besoin. Ce ne serait pas une faute !… »
« Certes », répliquai-je, « ce ne serait pas une faute. Mais ce pourrait être une erreur. »
« Je voudrais seulement lui voir retrouver son courage. Tant qu’elle restera dans son état actuel, je ne pourrai penser à rien avec calme. »
« Songez-vous donc à inventer quelque pieux mensonge, pour la tranquillité de votre mère ? » demandai-je.