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répondit vivement à la pensée de la jeune femme : – « Oui ! Mais nous détenons toute la poudre de Patusan ! » Elle lui saisit le bras, et montrant la maison : – « Va l’appeler ! » murmura-t-elle en tremblant.

« Tamb’ Itam monta l’escalier au galop. Son maître dormait. – « C’est moi, Tamb’ Itam, avec des nouvelles qui ne peuvent attendre », cria-t-il, du seuil de la porte. Il vit Jim se retourner sur l’oreiller en ouvrant les yeux, et lança tout de suite : « Jour de malheur Tuan : jour maudit ! » Jim se redressa sur le coude pour l’écouter, comme avait fait Dain Waris. Alors Tamb’ Itam commença son récit, en s’efforçant de mettre de l’ordre dans son histoire. Il appelait Dain Waris « Panglina » et disait : « Le Panglina a alors donné l’ordre au chef de ses bateliers de « donner à manger à Tamb’ Itam… », lorsque son maître mit pied à terre et le regarda avec un visage si décomposé, que les mots s’arrêtèrent dans sa gorge.

– « Achève », cria Jim ; « Il est mort ? » – « Longue vie à vous ! » répondit Tamb’ Itam. « C’est une affreuse trahison. Il s’était levé aux premiers coups de feu, et il est tombé. » Jim alla vers la fenêtre, et ouvrit le volet d’un coup de poing. La chambre s’éclaira. Il se mit alors à donner à son serviteur des ordres d’une voix calme mais rapide, pour faire assembler et lancer à la poursuite des fugitifs une flottille de canots ; il allait prévenir tel et tel chef, dépêcher des messages. Tout en parlant le jeune homme s’était assis sur le bord du lit et se penchait pour lacer ses bottes à la hâte. Mais relevant soudain son visage rougi : – « Pourquoi, restes-tu là ? » s’écria-t-il, « ne perds pas de temps ! » Tamb’ Itam ne bougeait pas. – « Pardonne-moi, Tuan, mais… mais… » se mit-il à balbutier. – « Quoi donc ? », cria son maître, à voix haute et avec un regard terrible, en se penchant, les deux mains crispées au bord du lit. – « Il n’est pas prudent pour ton serviteur de se montrer parmi le peuple », répondit Tamb’ Itam, après un moment d’hésitation.

« Alors Jim comprit. Il avait renoncé à un monde pour échapper aux conséquences d’un petit saut impulsif, et maintenant l’autre monde, l’œuvre de ses propres mains, tombait en ruine sur sa tête. Il n’était pas prudent, pour son serviteur, de sortir au milieu de son peuple à lui !