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l’eau reflétait de nombreux feux, « comme par une nuit de Ramadan », me disait le Malais. Des pirogues armées passaient silencieusement dans la bande d’ombre, ou immobiles à l’ancre, flottaient avec un bruit de clapotis sonore. Tamb’ Itam eut beaucoup à pagayer et beaucoup à marcher sur les talons de son maître ; ils arpentèrent la rue illuminée par les feux, et s’enfoncèrent jusqu’aux confins de la ville, où de petits groupes d’hommes montaient la garde dans les champs. Tuan Jim donnait des ordres aussitôt exécutés. Ils passèrent, pour finir, au palais du Rajah, occupé, cette nuit-là, par un détachement des serviteurs de Jim. Le vieux Rajah avait fui, le matin à la première heure, avec la plupart de ses femmes, et s’était réfugié, près d’un village de la brousse, dans une petite maison qu’il possédait sur un affluent du fleuve. Resté en arrière, Kassim avait assisté au conseil, pour expliquer, avec son air d’activité diligente, sa diplomatie de la veille. On lui battait froid, mais il n’en conservait pas moins sa vivacité paisible et souriante, et fit montre d’un grand enthousiasme lorsque Jim lui déclara sèchement qu’il allait faire occuper, ce soir-là, la redoute du Rajah par des hommes à lui. À l’issue du conseil, il alla de l’un des chefs à l’autre, en proclamant bien haut sa gratitude pour cette protection accordée, en son absence, aux domaines de son maître le Rajah.

« Vers dix heures, les hommes de Jim vinrent occuper l’enceinte qui commandait l’embouchure du ruisseau. Jim comptait rester là jusqu’au départ de Brown. Un petit feu fut allumé en dehors de la palissade, sur la pointe plate et gazonnée où Tamb’ Itam disposa un pliant pour son maître. Jim lui conseilla d’essayer de dormir. Tamb’ Itam alla chercher une natte et s’allongea à l’écart, mais il ne pouvait fermer l’œil, bien qu’il sût qu’il lui restait un long trajet à faire, avant la fin de la nuit. Son maître marchait de long en large devant le feu, la tête basse et les mains derrière le dos. Son visage était triste. Chaque fois qu’il s’approchait, Tamb’ Itam feignait de dormir, pour que Jim ne s’aperçût pas qu’il le regardait. Le jeune homme finit par s’arrêter, et abaissant les yeux sur son serviteur, dit doucement : – « Il est temps ! »

« Tamb’ Itam se leva aussitôt et fit ses préparatifs. Sa mission consistait à descendre le fleuve, une heure ou plus avant la chaloupe de Brown, et à