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plaisir, parce qu’ils ne sont pas plus malins que lui. – « Dites donc ? » interrogea Brown, « comment peut-on le toucher cet homme-là ? » – « Il viendra vous parler », affirma Cornélius. – « Que voulez-vous dire ? Il va venir se promener par ici ? » Cornélius fit dans l’ombre un signe de tête énergique. – « Oui ; il va venir tout droit ici pour vous parler. C’est un vrai imbécile. Vous en jugerez vous-même ! » Brown restait incrédule. « Vous verrez ; vous verrez ! » insistait Cornélius. « Il n’a peur de rien, de rien ! Il va venir vous ordonner de laisser son peuple en paix. Il faut que tout le monde laisse son peuple en paix. Un vrai petit enfant. Il va venir tout droit ici. » Hélas, il connaissait bien Jim, « ce sale petit pleutre », comme l’appelait Brown. « Oui, certainement », poursuivit-il avec ardeur, « et alors, capitaine, il faudra dire à votre grand bonhomme au fusil, de lui tirer dessus. Tuez-le seulement, et vous verrez tout le monde si épouvanté ici, que vous pourrez faire ce que vous voudrez, que vous aurez tout ce qui vous tentera, que vous vous en irez à votre gré. Ha ! ha ! ha ! Ce sera beau… ! » Il était prêt à danser d’impatience et de fièvre, et Brown, qui le regardait par-dessus son épaule, voyait dans l’aube impitoyable ses hommes trempés de rosée assis entre les cendres froides et les souillures du camp, hagards, abattus, en haillons. »



XLI


« Les feux de la rivière occidentale brillèrent d’un vif éclat, jusqu’à la minute même où le grand jour parut les éteindre, d’un seul coup. C’est alors que Brown aperçut, entre les premières maisons et dans un groupe immobile de silhouettes brunes, un homme tout de blanc vêtu, à l’européenne, casque en tête. – « Le voilà. Regardez ! Regardez ! » cria Cornélius avec fièvre. Tous les compagnons de Brown bondirent et se rangèrent, les yeux ternes, derrière son dos. Le groupe bigarré des silhouettes à visages sombres et de l’homme blanc observaient la colline. Brown