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imminent et insaisissable accablait la populace. Tout à coup, il y eut dans la cour, une panique parmi les femmes : de grands cris s’élevèrent ; on galopait ; les enfants hurlèrent. Haji Saman sortit pour calmer la foule. Puis une sentinelle du fort, tirant sur une ombre mouvante au ras de l’eau, faillit tuer un villageois qui amenait, dans un canot, ses femmes avec les plus précieux de ses ustensiles domestiques et une douzaine de volailles. Il en résulta un surcroît de confusion. Cependant les palabres se poursuivaient dans la maison de Jim, en présence de la jeune femme. Pesant, le visage farouche, Doramin regardait tour à tour les orateurs, et respirait lentement, comme un taureau. Il ne parla qu’en dernier, lorsque Kassim eut déclaré que les bateaux du Rajah allaient être rappelés, parce que Tunku Allang avait besoin de ses hommes pour défendre son domaine. Malgré Bijou, qui le suppliait, au nom de Jim, de parler, Dain Waris ne voulut formuler aucune opinion en présence de son père. Dans son désir de voir, sans retard, chasser les bandits, la jeune femme lui offrait les hommes de Jim. Mais après avoir regardé Doramin, Dain Waris se contenta de secouer la tête. On décida en définitive, avant de lever le conseil, d’occuper fortement les maisons voisines du ruisseau, pour commander l’embarcation ennemie. On feindrait de ne pas s’en occuper, pour laisser aux blancs la tentation d’embarquer, sur quoi un feu bien dirigé les tuerait presque tous. Pour couper la retraite aux survivants éventuels et pour empêcher d’autres assaillants d’arriver à la rescousse, Dain Waris reçut de Doramin l’ordre de se porter, avec une troupe de Bugis en armes, vers un point de la rivière situé à dix milles au-dessous de Patusan, de se retrancher sur la berge et de barrer le fleuve avec ses embarcations. Je ne crois pas du tout que Doramin redoutât l’arrivée de forces nouvelles. Sa décision était motivée, à mon sens, par le seul désir de mettre son fils à l’abri du danger. Pour prévenir un assaut de la ville, on devait, à l’aube, élever une barricade sur la rive gauche, à l’extrémité de la rue. Le vieux Nakhoda fit part de son intention de commander là en personne. Une distribution de poudre, de balles et de capsules fut aussitôt effectuée sous la direction de la jeune femme. Plusieurs messagers devaient être dépêchés, en différentes directions, vers Jim