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seul détenteur d’une provision de poudre. Stein, avec lequel il gardait des relations épistolaires intimes, avait obtenu une autorisation spéciale du gouvernement hollandais pour en exporter cinq cents barils à Patusan. La poudrière était une petite hutte en troncs bruts, entièrement recouverte de terre, dont, en l’absence de Jim, la jeune femme conservait la clef. Au conseil, tenu à onze heures du soir, dans la salle à manger de Jim, elle appuya l’avis d’action immédiate et vigoureuse, formulé par Dain Waris. Elle restait debout, près du fauteuil vide de Jim, et fit un discours belliqueux et passionné, qui, sur l’instant, souleva dans l’assemblée des murmures d’approbation. Le vieux Doramin qu’on n’avait plus vu hors de son logis depuis plus d’un an, s’était fait apporter à grand-peine. Il était naturellement le chef de l’assemblée. Le conseil était d’humeur impitoyable, et l’avis du vieillard aurait entraîné une action décisive, mais je suis convaincu que la crainte du courage fougueux de son fils l’empêcha de prononcer le mot nécessaire, et l’on pencha pour l’expectative. Un certain Haji Saman démontra tout au long que « ces hommes féroces et tyranniques » étaient, en tout état de cause, voués à une mort certaine. Ou bien, cramponnés à leur colline, ils y mourraient de faim ; ou, tentant de regagner leur chaloupe, ils seraient tués par des hommes postés en embuscade de l’autre côté du ruisseau, ou enfin, faisant une percée pour fuir dans la forêt, ils y périraient les uns après les autres. Il affirmait que d’ingénieux stratagèmes permettraient de venir à bout des féroces étrangers sans courir le risque d’une bataille, et ses paroles furent d’un grand poids, surtout auprès des habitants de la ville même. Ce qui les troublait, c’était l’inaction gardée par les bateaux du Rajah au moment décisif. Le diplomate Kassim représentait Tunku Allang au conseil. Il parlait peu et écoutait avec un sourire courtois et impénétrable. Pendant la séance, des messages reçus de minute en minute rapportaient les faits et gestes des assaillants. Folles rumeurs et exagérations se donnaient libre cours ; il y avait, à l’embouchure du fleuve, un énorme vaisseau, avec de gros canons et un nombreux équipage de blancs et de noirs, tous hommes à mine sanguinaire. Ils remontaient le courant avec plusieurs embarcations, pour exterminer tout ce qui était en vie. Un sentiment de danger