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impliquer. La plus longue phrase sortie spontanément de sa bouche, je l’entendis un matin, où tendant la main vers la cour, il désigna Cornélius en disant : – « Voilà le Nazaréen ! » Je ne crois pas qu’il s’adressât à moi, bien que je fusse à côté de lui ; son objet était plutôt d’attirer sur le Portugais l’attention indignée de l’univers. La cour, large espace carré, faisait une fournaise torride, et sous l’intense éclat de la lumière, Cornélius qui s’avançait tout droit, donnait pourtant une inexprimable impression de dissimulation, de sombre et cauteleuse sournoiserie. Il éveillait l’idée de choses fétides. Son allure lente et laborieuse rappelait la démarche d’un cloporte répugnant, dont les pattes courent sur le sol avec une activité atroce, tandis que son corps reste immobile. Je suppose bien qu’il se dirigeait tout droit vers le point qu’il voulait gagner, mais sa marche, une épaule en avant, paraissait oblique. On le voyait souvent tourner autour des huttes, comme s’il eût cherché une piste ; il levait à la dérobée les yeux en passant devant la véranda, et disparaissait sans hâte derrière un coin de mur. La liberté qui lui était laissée, dénotait l’absurde insouciance ou mieux, peut-être, le suprême dédain de Jim, car Cornélius avait joué un rôle fort équivoque, pour ne pas dire plus, dans certain incident qui aurait pu avoir pour Jim une issue fatale. En fait, d’ailleurs, il s’était terminé pour sa plus grande gloire. Tout, à la vérité, concourait à sa gloire, et c’était bien l’ironie de la destinée de cet homme qui, trop soucieux de ses jours, en une minute de son existence, paraissait mener maintenant une vie enchantée.

« Vous saurez qu’il avait quitté la demeure de Doramin très peu de temps après son arrivée, bien plus tôt, à vrai dire que ne l’eût exigé la plus élémentaire prudence et longtemps, bien entendu, avant la guerre. Il était poussé à ce départ par le sentiment du devoir et la nécessité de surveiller les affaires de Stein. À cette fin, et avec un mépris total de sa sécurité personnelle, il passa la rivière, pour aller s’installer avec Cornélius. Comment le Portugais avait pu traverser la période des troubles, je ne saurais le dire. Évidemment sa qualité d’agent de Stein devait lui assurer une certaine protection de la part de Doramin. En tout cas, de façon ou d’autre, il avait su se tirer des plus redoutables complications, et je ne doute