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vieux bonhomme qui m’avait conté la majeure partie de ce stupéfiant mythe Jimesque, – manière de scribe du pauvre petit Rajah de l’endroit, – pareil bijou, disait-il, en clignant des yeux myopes qu’il levait sur moi, du plancher de la cabine où il s’était assis par respect, – se cache de préférence sur la personne d’une femme. Mais on ne saurait le confier à la première venue : il faut qu’elle soit jeune (il poussa un profond soupir) et insensible aux séductions de l’amour. Il hochait la tête d’un air sceptique. Il semblait pourtant y avoir une femme pareille. On lui avait parlé d’une grande fille que le blanc traitait avec beaucoup de sollicitude et de respect, et que l’on ne voyait jamais seule, hors de sa demeure. Le blanc sortait presque tous les jours avec elle ; ils s’en allaient côte à côte, au grand jour, et il lui tenait le bras sous le sien, serré contre son côté,… comme ceci !… d’une façon extraordinaire ! C’était peut-être un mensonge, concédait-il, car c’eût été une singulière façon d’agir, mais au moins était-il hors de doute que cette femme ne portât le bijou du blanc caché sur sa poitrine. »



XXIX


– « Telle était l’explication qui courait sur les sorties vespérales du jeune couple. J’eus plus d’une fois l’occasion d’en faire partie en tiers, et j’eus chaque fois le déplaisir de voir rôder autour de nous Cornélius ; amèrement attaché à sa paternité légale, le métis tordait sa bouche avec un mouvement particulier, qui faisait toujours croire qu’il allait grincer des dents. Mais avez-vous remarqué qu’à trois cents milles des fils télégraphiques ou des lignes postales, le vil mensonge utilitaire de notre civilisation dépérit et meurt, pour faire place à de purs exercices d’imagination, qui ont la futilité, souvent le charme, et parfois la profondeur latente de vérité d’œuvres d’art ? Le Roman avait élu en Jim un de ses héros, et c’était là la seule partie vraie d’une histoire qui n’était autrement que mensonge. Jim ne cachait pas son bijou, car il en était extrêmement fier.