Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/216

Cette page n’a pas encore été corrigée

créatures, accroupies pour boire dans un fleuve spectral et inerte. Çà et là, un point rougeoyant frémissait entre les murs de bambou, chaud comme une étincelle vivante, symbole d’affections humaines, de refuge, de repos.

« Jim m’avoua qu’il regardait souvent s’éteindre un à un ces points lumineux, qu’il aimait voir les gens s’endormir sous ses yeux, confiants dans la sécurité du lendemain. – « Quelle paix, n’est-ce pas ? » fit-il. Il manquait d’éloquence, mais il y avait un sens profond dans les paroles qu’il prononça ensuite : « Regardez ces maisons ; il n’y en a pas une où l’on n’ait foi en moi ! Par Jupiter ! Je vous avais bien dit que je saurais rester… Demandez à tous les hommes, aux femmes, aux enfants… » Il s’arrêta. « Eh bien, tout va pour le mieux, maintenant ! »

« Je lui fis vivement observer qu’il avait enfin fini par s’apercevoir de ce que je savais moi, dès le premier jour. Il hocha la tête, en me serrant légèrement le bras au-dessus du coude. – « Vraiment ?… Eh bien, alors, vous aviez raison ! »

« Il y avait de l’exaltation et de l’orgueil, il y avait presque de la terreur dans cette exclamation. – « Par Jupiter », reprit-il, « songez un peu à ce que cela signifie pour moi ! » Puis, pressant à nouveau mon bras : « Et vous me demandiez si je songeais à m’en aller ! Bon Dieu ! moi…, vouloir quitter ce pays ! Surtout maintenant, après ce que vous m’avez dit des intentions de M. Stein !… Partir ! Mais c’est l’idée qui m’épouvante le plus ! Ce serait… ce serait plus terrible que la mort… Non, ma parole… Ne riez pas… Il faut que je sente, chaque matin, dès que j’ouvre les yeux, que l’on a confiance en moi… que personne n’a le droit… comprenez-vous ?… Partir ?… Pour où ?… Pourquoi ?… Pour trouver quoi ?… »

« Je lui avais dit (et c’était en somme le principal objet de ma visite), que Stein avait l’intention de lui offrir, dès maintenant, la maison avec son stock de marchandises, moyennant certaines conditions légères, qui rendraient la transaction régulière et facile. Il avait commencé par renâcler et par s’ébrouer. – « Laissez-moi tranquille, avec votre maudite délicatesse ! » m’étais-je écrié. « Ce n’est pas Stein du tout ! Il vous donne ce que vous avez gagné. Et, en tout cas, gardez vos observations pour Mac Neill, quand vous le rencontrerez dans l’autre monde, ce qui