ses pieds pour arpenter la pièce ; la carrure de ses épaules, le port de sa tête, sa démarche raide et saccadée me rappelaient la nuit où je l’avais vu déjà se promener de la sorte, où j’avais écouté sa confession, ses explications, comme vous voudrez, mais où je l’avais, en définitive, senti vivre, vivre devant mes yeux, sous son pauvre petit nuage, avec toute son inconsciente subtilité, qui savait tirer une consolation de la source même de ses peines. C’était le même esprit qui l’animait maintenant, un esprit identique et différent pourtant, comme un compagnon infidèle qui, vous guidant aujourd’hui sur le droit chemin, va demain, avec les mêmes yeux, les mêmes pas, les mêmes gestes, vous égarer irrémédiablement. Sa démarche était assurée ; ses yeux assombris et fureteurs semblaient chercher quelque chose dans la pièce. Un de ses pas tombait avec plus de bruit que l’autre, du fait de ses souliers, sans doute, et donnait une curieuse impression d’imperceptible boiterie. Une main profondément enfoncée dans la poche de son pantalon, il agita soudain l’autre au-dessus de sa tête… – « Claquer la porte ! » cria-t-il, « voilà ce qu’il me fallait !… Je saurai montrer ce que je… Je… Je suis prêt à toutes les aventures… C’est ce dont je rêvais… Sortir de tout ceci, par Jupiter !… Ah ! Voilà enfin une chance !… Attendez un peu et vous verrez… ! »
« Il redressait la tête d’un air vainqueur, et pour la première et la dernière fois, j’avoue que je me sentis brusquement excédé de lui. À quoi bon de telles fanfaronnades ? Il marchait à travers la pièce, avec des gestes absurdes, et cherchait de temps en temps à tâtons, à travers ses vêtements, l’anneau serré contre sa poitrine. Y avait-il de quoi s’exalter si fort, dans la perspective d’une place d’employé de commerce, envoyé dans un endroit où il n’y avait pas de commerce ? Pourquoi lancer ainsi un défi à l’univers ? Ce n’était pas l’état d’esprit nécessaire pour affronter une entreprise et je ne parlais pas seulement pour lui, mais pour n’importe qui. Il m’écouta un instant sans bouger. – « Vraiment ? » fit-il, sans se laisser le moins du monde abattre, et avec un sourire où il me sembla, tout à coup, démêler quelque chose d’insolent. Seulement, j’ai vingt ans de plus que lui ! La jeunesse est bien insolente, en effet ; c’est son droit, et même son essence ; il faut qu’elle s’affirme,