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cheval jusqu’à ce que j’eusse entendu fixer les barreaux derrière moi. Il y avait un de mes grands ennemis, un noble, un beau brigand, qui battait la campagne, avec une bande armée, aux alentours de ma demeure. Je fis un petit temps de galop de quatre ou cinq milles ; il avait plu dans la nuit mais la brume s’était levée, et le visage de la terre était parfaitement net ; il me souriait, tout frais, tout innocent, comme celui d’un petit enfant ! Tout à coup, j’entends une salve de coups de feu, une vingtaine au moins, à ce qu’il me paraît. Des balles me sifflent aux oreilles, et mon chapeau saute de ma tête. C’était une petite embuscade, vous comprenez. Ils s’étaient arrangés à me faire appeler par mon pauvre Mohammed, et m’avaient tendu ce traquenard. Je compris tout en clin d’œil, et me dis : « Il faut un peu d’habileté… » Mon poney s’ébroue, bondit, se dresse sur ses pattes de derrière, et moi, je me laisse tout doucement tomber en avant, la tête sur sa crinière. Il se met à marcher, et, d’un œil, je vois par-dessus son cou, un petit nuage de fumée suspendu à ma gauche au-dessus d’un massif de bambous. Je me dis : « Ah ! ah ! mes amis,… pourquoi n’attendez-vous pas assez avant de tirer ? Vous ne m’avez pas encore gelungen. Oh non ! » Je saisis mon revolver de la main droite tout doucement. En définitive, ils n’étaient que sept, ces gredins. Ils surgissent de l’herbe et se mettent à courir, avec leurs sarongs retroussés, en agitant, leur lance au-dessus de leur tête, et en se criant l’un à l’autre de ne pas laisser échapper le cheval, puisque je suis mort… Je les laisse approcher à la distance de cette porte, et alors, bang… bang… ; je vise soigneusement, à chacun de mes coups. Une dernière balle dans un dos d’homme, mais je le manque. Trop loin déjà. Et je reste en selle, au-dessus de la douce terre toute nette, qui me sourit, et devant trois cadavres abattus sur le sol. L’un était roulé en boule, comme un chien ; un autre, sur le dos, avait un bras devant les yeux, comme pour se garantir du soleil ; le troisième retira sa jambe, très lentement, pour l’allonger brusquement, d’un seul coup. Je le regardai attentivement, du haut de mon cheval, mais c’était bien fini ; er bleibt ganz ruhig, il reste parfaitement tranquille. Et en cherchant sur son visage un signe de vie, je vois quelque chose comme une ombre légère passer sur son front. C’était l’ombre de ce papillon. Regardez cette