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reposait sur le bureau, où gisaient des feuilles de papier oblongues, couvertes d’une écriture menue.

– « Voilà comment vous me trouvez… Voilà ! » fit-il. Sa main me désignait la case, où, dans sa grandeur solitaire, un papillon déployait des ailes de sept pouces ou plus, des ailes sombres de bronze, avec des veines blanches d’une exquise délicatesse et une bordure somptueuse de points jaunes. – « Ils n’ont qu’un spécimen comme celui-là, dans votre Londres, et c’est tout. À ma petite ville natale, je léguerai ce numéro de ma collection à moi. Quelque chose de moi… Le meilleur ! »

« Il se penchait sur sa chaise, et le menton appuyé sur le verre de la case, il regardait ardemment. Je me tenais derrière son dos. – « Merveilleux ! » murmura-t-il, comme s’il eût oublié ma présence. Son histoire était curieuse. Né en Bavière, il avait, à vingt-deux ans, pris une part active au mouvement révolutionnaire de 1848. Gravement compromis, il avait réussi à fuir, en trouvant un premier refuge chez un pauvre horloger républicain de Trieste. De là il était passé au Tripoli, avec une pacotille de montres bon marché à colporter ; ce n’était pas un début bien brillant, mais le voyage avait été heureux pour lui cependant, car il avait fait en Afrique la rencontre d’un certain Hollandais, un homme célèbre autant que je me rappelle, mais dont j’ai oublié le nom. Ce naturaliste l’avait engagé comme une sorte d’assistant, et emmené en Orient. Pendant quatre ans ou plus, ensemble ou séparément, ils avaient exploré l’Archipel Indien, en quête d’oiseaux et d’insectes. Puis, le naturaliste reparti dans son pays, Stein qui n’avait pas, lui, de pays à revoir, était resté près d’un vieux négociant, qu’il avait connu au cours de ses voyages à l’intérieur des Célèbes, si l’on peut dire que les Célèbes comportent un intérieur. Ce vieil Écossais, le seul blanc autorisé à résider dans le pays à l’époque, était un ami privilégié de la femme qui présidait alors aux destinées des États Wajo. J’ai souvent entendu Stein conter comment cet homme, légèrement paralysé d’un côté, l’avait présenté à la cour indigène, peu avant d’être emporté par une dernière attaque. C’était un homme large, à la barbe blanche de patriarche et à l’imposante stature. Il était entré dans la salle du conseil où rajahs, pangerans et chefs étaient assemblés, sous la présidence