Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/178

Cette page n’a pas encore été corrigée

à rechercher ses conseils. Je voulais lui faire part de ma perplexité, parce qu’entre tous les hommes que j’ai connus, c’était l’un des plus dignes de confiance. La douce lumière d’une bonté simple, inlassable, semblait-il, et intelligente, éclairait son long visage glabre. Ce visage, creusé de plis profonds et verticaux, était pâle comme celui de l’homme qui a toujours mené une existence sédentaire, ce qui n’était pas le cas, d’ailleurs. Il rabattait ses cheveux clairsemés, en arrière d’un front haut et puissant. On se représentait qu’à vingt ans, cet homme-là avait déjà dû ressembler beaucoup à ce qu’il était à soixante. Visage de savant, où les sourcils presque blancs et le regard résolu et scrutateur sorti de leur broussaille épaisse, n’étaient pourtant point en harmonie si je puis dire, avec une mine de lettré. Il était grand, un peu dégingandé ; une légère voussure et un doux sourire le faisaient paraître toujours prêt à vous accorder une attention bienveillante ; ses grands bras, aux longues mains pâles, avaient des gestes rares et précis, comme pour désigner ou pour démontrer. Je parle longuement de lui, parce que, sous son extérieur placide, et en conjonction avec une nature droite et indulgente, cet homme possédait une intrépidité d’esprit et un courage physique que l’on eût pu taxer de témérité, si ce n’eussent été là, au même titre que les fonctions naturelles du corps, une bonne digestion par exemple, attributs parfaitement inconscients chez lui. On dit, de certains êtres, qu’ils portent leur vie dans leurs mains. Une telle expression eût été mal adaptée à son cas ; dans la première partie de son existence en Orient, il avait joué à la balle avec sa vie. Tout cela appartenait, d’ailleurs, au passé, mais je connaissais l’histoire de ses débuts et l’origine de sa fortune. C’était aussi un naturaliste assez distingué, ou pour mieux dire, peut-être, un collectionneur averti. L’entomologie le passionnait tout particulièrement. Sa collection de Buprestidés et de Longicornes, des scarabées, tout cela, horribles monstres en miniature, à l’aspect malfaisant jusque dans la mort et l’immobilité, et son musée de papillons, magnifiquement étalés, avec leurs ailes inanimées, sous les verres de leurs casiers, avait répandu sa gloire fort avant dans le monde. Le nom de ce négociant, de cet aventurier, conseiller intime, en un temps, d’un Sultan malais (à qui il ne faisait jamais