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jour, en débarquant, je le vis debout sur le quai ; l’eau de la rade et de la pleine mer formait un seul plan, montant et uni, et les plus lointains des bateaux à l’ancre semblaient s’élever, sans bouger, dans le ciel. Jim attendait son canot, qu’à nos pieds on chargeait de provisions, pour quelque navire en partance. Après avoir échangé des paroles de bienvenue, nous restâmes silencieux côte à côte. – « Par Jupiter ! » s’écria-t-il, tout à coup, « quelle exténuante besogne ! »

« Il me sourit. Je dois reconnaître qu’il savait presque toujours trouver un sourire. Je savais bien qu’il ne parlait pas de son travail ; sa situation chez de Jongh était bien douce. Et pourtant, à peine eut-il prononcé ces paroles, que je restai convaincu du caractère exténuant de ses occupations. Je ne le regardai même pas. – « Aimeriez-vous », proposai-je, « quitter définitivement cette partie du monde, tâter de la Californie ou de la Côte Orientale ? Je verrai ce que je puis faire… » Il m’interrompit un peu dédaigneusement : – « Quelle différence voulez-vous que cela fasse ? » Cela ne pouvait faire aucune différence, en effet ; ce n’est pas un répit qu’il demandait ; je commençais à sentir confusément que ce qu’il cherchait, ce qu’il attendait, pour ainsi dire, c’était quelque chose d’assez difficile à définir, quelque chose qui ressemblât à une ouverture nouvelle. Je lui avais procuré maintes occasions, mais ce n’étaient qu’autant de gagne-pain. Et pourtant, que pouvait-on faire de plus ? La situation m’apparut un moment comme désespérée et je me souvins des paroles du pauvre Brierly : – « Qu’il creuse donc un trou de vingt pieds pour s’y terrer !… » Cela eût mieux valu, me disais-je, que d’attendre l’impossible sur la terre. Mais de cela même on ne pouvait être certain ! Aussi décidai-je sur-le-champ, avant que son canot ne fût à trois brasses du rivage, d’aller ce soir-là consulter Stein sur le sujet.

« Ce Stein était un négociant riche et respecté. Sa maison (c’était la « Maison Stein et Cie avec une espèce d’associé qui selon l’expression de Stein, « s’occupait des Moluques »), sa maison faisait un gros commerce avec l’intérieur et possédait, dans les coins les plus reculés, une foule de comptoirs pour recueillir diverses denrées. Ce n’étaient pourtant ni sa fortune ni sa situation qui me poussaient