Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/149

Cette page n’a pas encore été corrigée

on établira un hangar de bois, à toit de tôle ondulée ; je connais un fournisseur de Hobart qui acceptera un effet à six mois pour les matériaux. C’est vrai, sur l’honneur ! Il y a aussi la question de l’eau ; il faudra que je cherche quelqu’un pour me fournir d’occasion une demi-douzaine de réservoirs en fer-blanc, à crédit. On captera l’eau de pluie, n’est-ce pas ? Je veux donner la direction à ce garçon-là, en faire le grand chef des coolies. Bonne idée, n’est-ce pas ? Qu’en dites-vous ? » – « Mais il se passe des années entières sans qu’une goutte d’eau tombe sur les Walpole ! » protestai-je, trop stupéfait pour rire. Il se mordit les lèvres et parut embarrassé : – « Oh, j’arrangerai quelque chose, ou bien j’emporterai une provision d’eau. Au diable l’eau ! La question n’est pas là ! »

« Je ne répondis rien ; je venais, en une vision rapide, de me figurer Jim perché sur un rocher sans ombre, plongé jusqu’aux genoux dans le guano, avec le cri des oiseaux de mer dans les oreilles et le globe incandescent du soleil au-dessus de la tête ; devant lui le ciel vide et l’océan vide n’étaient qu’un vaste frémissement, qu’une seule vibration de chaleur, aussi loin que le regard pût porter. – « Je ne conseillerais pas à mon pire ennemi… », commençai-je. – « Quelle mouche vous pique ? » s’écria Chester. « Je lui donnerai de beaux gages, une fois l’affaire bien partie, s’entend. Pas plus difficile que de filer un loch. Exactement rien à faire qu’à se promener avec deux revolvers à six coups à la ceinture. Sûrement, il n’aura pas peur de ce que pourraient faire quarante coolies, avec douze pruneaux tout prêts, et en se trouvant seul armé. C’est beaucoup plus beau que cela ne paraît. Je voudrais que vous m’aidiez à le décider… » – « Non !… » éclatai-je. Le vieux Robinson leva vers moi ses yeux troubles, d’un air effaré, tandis que Chester me considérait avec un mépris écrasant. – « Alors vous ne voulez pas lui parler en ma faveur ? » demanda-t-il lentement. – « Certainement non ! » protestai-je avec autant d’indignation que s’il eût réclamé mon aide pour tuer quelqu’un. « Et, d’ailleurs, je suis sûr qu’il n’y consentirait pas ; il est bien mal en point, mais il n’est pas encore tout à fait fou, à mon avis. » – « Il n’est plus bon à rien », grommela Chester, d’un ton méditatif, « et il ferait bien mon affaire. Si vous vouliez seulement voir les choses comme