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sous son globe de verre, et c’était la seule lumière qui l’éclairât pour moi ; derrière son dos, il y avait la nuit noire et les claires étoiles, disposées sur des plans reculés, dont le scintillement lointain attirait les regards sur les profondeurs d’une obscurité plus épaisse ; et pourtant, une mystérieuse lumière semblait éclairer à mes yeux son jeune visage, comme si tout ce qu’il y avait en lui de jeunesse se fût, à ce moment précis, exhalé en vapeurs lumineuses. – « Vous êtes vraiment bon de m’écouter comme cela », fit-il ; « cela me fait du bien ; vous ne savez pas ce que cela représente pour moi… » ; les mots parurent lui faire défaut… Encore un aperçu,… bien net, cette fois. Ce garçon-là était bien de ceux que l’on aime avoir autour de soi, décidément ; du modèle sur lequel on aime à se croire taillé soi-même, de l’espèce dont le seul aspect réveille ces illusions, que l’on croyait éteintes, mortes, glacées, et que l’approche d’une autre flamme suffit à rallumer, avec un frémissement lointain, lointain, d’où sort brusquement un éclat de lumière,… de chaleur… ! Oui, j’eus une vision de son cœur, à ce moment précis, et ce ne fut pas la dernière… – « Vous ne savez pas ce que c’est, pour un homme dans ma situation, de se sentir cru, de décharger son cœur devant un aîné. C’est si difficile,… si affreusement inique… si dur à comprendre ! »

« La brume s’épaississait à nouveau entre nous. J’ignore ce qu’il pouvait discerner en moi de maturité ou de sagesse. Certes il ne me croyait pas de moitié aussi vieux que je me sentais, de moitié aussi inutilement sage que je l’étais. Dans nul autre métier autant que dans celui de la mer, le cœur de ceux qui se jetèrent à l’eau, – pour y sombrer ou pour surnager, – n’est attiré vers l’enfant qui se trouve à son tour au bord de l’abîme, et contemple avec des yeux brillants cet étincellement de la vaste surface, qui n’est qu’une réflexion du feu de ses regards. Il y a tant de vagues splendeurs dans l’espoir qui nous poussait vers la mer, tant de gloire brumeuse, une telle soif d’aventures qui trouveront en elles-mêmes leur seule récompense. Ce que nous finissons par trouver…, n’en parlons pas, mais y en a-t-il un de nous qui puisse devant une telle évocation, réprimer un sourire ? Dans nulle autre existence, l’illusion n’est plus éloignée de la réalité ; nulle autre ne