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tête qui retombait en arrière. Quand elle lui baisa les lèvres, il était déjà mort. Ses yeux ternis regardaient le ciel où des nuages roses flottaient très haut. Je vis les paupières de la fillette s’abaisser et se clore doucement. Serrée contre la poitrine de sa mère, elle s’était endormie.

La veuve de Gaspar Ruiz le fort, se laissa emmener sans une larme.

Pour le voyage, nous avions disposé à son usage une selle en forme de fauteuil, avec une planche destinée à supporter ses pieds. Le premier jour, elle chevaucha sans prononcer une parole et sans détourner un instant les yeux de la petite fille qu’elle tenait sur les genoux. A notre première étape, je la vis se promener pendant la nuit, en berçant l’enfant dans ses bras, et en la contemplant à la lueur de la lune. Lorsque nous fûmes repartis pour notre seconde journée de marche, elle me demanda dans combien de temps nous arriverions au premier village du pays habité.

Je lui répondis que nous y serions vers midi.

— « Y trouvera-t-on des femmes ? » s’enquit-elle.

Je répondis que c’était un gros village. — « Et vous y verrez, Señora, ajoutai-je, des hommes et des femmes aux cœurs réjouis par la nouvelle que les tourments de la guerre sont enfin terminés. »

— « Oui, tout est bien fini, maintenant, acquiesça-t-elle. Puis, après un silence : Señor officiel, qu’est-ce que votre Gouvernement va faire de moi ? »

— « Je l’ignore, répondis-je. On vous traitera bien, sans aucun doute. Nous autres, républicains, ne sommes pas des sauvages et ne tirons pas vengeance des femmes. »

Le mot de républicain m’attira, de sa part, un regard plein d’une inextinguible haine. Mais une heure où deux après, comme nous nous effacions pour laisser les mules à bagages nous précéder sur un sentier étroit qui bordait