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Je m’avançai à sa rencontre.

— « Est-il encore vivant ? » me demanda-t-elle, en tournant vers moi ce pâle et impassible visage que Ruiz contemplait avec une telle adoration.

J’inclinai la tête et la conduisis, sans un mot derrière un massif. Gaspar avait les yeux ouverts ; il respirait avec difficulté et dut faire un gros effort pour prononcer ce nom :

— « Erminia ! »

Elle s’agenouilla près de sa tête. Sans s’occuper du mourant et ouvrant de grands yeux autour d’elle, la fillette se mit soudain à gazouiller d’une voix joyeuse et aiguë. Elle désignait de son petit doigt le reflet rosé du soleil levant, derrière les silhouettes sombres des pics. Et tandis que sonnait cette voix enfantine, incompréhensible et douce à l’oreille, les deux autres, le mourant et la femme à genoux, silencieux, se regardaient dans les yeux et écoutaient le son frêle. Tout à coup, la voix se tut. La fillette appuya sa tête contre la poitrine de sa mère et resta immobile.

— « C’était pour vous, commença Ruiz. Pardonnez-moi ! » La voix lui manqua. Et bientôt, dans un murmure, je distinguai ces mots douloureux :… « pas assez fort ! »

Elle le regardait avec une intensité prodigieuse. Il s’efforça de sourire et d’un ton humble :

— « Pardonnez-moi, répéta-t-il. En vous quittant.., »

Elle se pencha, les yeux secs, et d’une voix ferme :

— « Sur cette terre, je n’ai rien aimé que toi, Gaspar », dit-elle.

Il fit un mouvement de la tête et un peu de vie reparut dans ses yeux. — « Enfin ! » soupira-t-il. Puis avec angoisse : « Mais est-ce vrai… Est-ce bien vrai ? »

— « Aussi vrai qu’il n’y a, en ce monde, ni pitié ni justice » ; répondit-elle d’un ton farouche. Elle se penchait sur le visage du mourant et s’efforçait de lever la