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le coup partit, l’affût improvisé s’effondra, et le boulet fila bien au-dessus de la palissade.

On ne hasarda pas de nouvelle tentative. Une des mules chargées de munitions avait été perdue aussi, et Ruiz n’avait plus à tirer que six coups, provision largement suffisante pour abattre la porte, si la pièce eût été bien fixée. Mais c’était chose impossible sans un affût que l’on n’avait ni le temps, ni les moyens de construire. Je m’attendais, d’un instant à l’autre, à entendre les clairons de Robles éveiller les échos des montagnes.

Peneleo qui errait avec inquiétude, drapé dans ses peaux de bêtes, s’assit un instant près de moi, en marmottant son éternel refrain :

— « Fais une entrada, un trou. Si tu fais une ouverture, bueno. Si non, alors vamos ; il faut partir. »

Après le coucher du soleil, je remarquai avec surprise que les Indiens paraissaient se préparer à un nouvel assaut. Leurs lignes se formaient en bon ordre dans l’ombre des montagnes. Sur la plaine, en face de la porte du fort, je vis un groupe d’hommes qui remuaient sur place.

Personne ne faisait attention à moi, et je descendis la pente. La lune, dans l’air pur des montagnes, répandait une lumière claire comme celle du jour, mais la brutalité des ombres me troublait la vue et m’empêchait de distinguer les détails du petit groupe. J’entendis la voix de Jorge, l’artilleur, déclarer d’un ton bizarre, tremblant : — « Nous sommes chargés, Señor. »

Alors une autre voix s’éleva dans le groupe, pour ordonner d’un ton ferme : — « Apportez la riata. » C’était la voix de Gaspar Ruiz.

Un silence plana, pendant lequel les coups de feu des assiégés déchirèrent l’air avec fracas. Eux aussi, ils avaient remarqué quelque chose d’insolite. Mais la distance était trop forte, et au milieu du sifflement des