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les toits de chaume de huttes qui semblaient désertes, vides, sans une âme.

A la sommation, lancée par un cavalier qui, sur l’ordre de Ruiz, s’était intrépidement porté en avant, les occupants du fort répondirent par une salve qui fit rouler à terre monture et cavalier. J’entendis Ruiz grincer des dents près de moi. — « Cela n’a pas d’importance », fit-il. « A votre tour. »

Pour usés et fripés qu’en fussent les lambeaux, les vestiges de mon uniforme furent reconnus, et les assiégés me laissèrent approcher à portée de l’oreille ; mais je dus attendre qu’une voix qui lançait par une meurtrière des clameurs de joie et d’étonnement me laissât placer un mot. C’était la voix du major Pajol, un vieil ami à moi qui, comme d’autres camarades, me croyait tué depuis beau temps.

— « Pique des deux, mon vieux, cria-t-il, avec fièvre. Nous allons t’ouvrir la porte. »

Je laissai tomber les rênes et secouai la tête. — « Je suis prisonnier sur parole », répliquai-je.

— « Prisonnier sur parole d’un homme de cette espèce ! » répliqua-t-il, avec un dégoût profond.

— « Il vous promet la vie sauve. »

— « Notre vie est à nous. Et c’est toi, Santierra, qui nous conseilles de nous rendre à ce rastrero ? »

— « Non ! criai-je. Mais il veut sa femme et son enfant, et peut vous couper l’eau. »

— « C’est elle, alors, qui sera la première à souffrir. Dis-le-lui. Écoute ; tout cela est idiot, nous allons faire une sortie et nous saisir de ta personne. »

— « Vous ne m’attraperez pas vivant ! » répliquai-je avec fermeté.

— « Imbécile ! »

— « Pour l’amour de Dieu, repris-je vivement, n’ouvrez pas la porte. » Et je montrai la multitude des Indiens de Peneleo, qui couvraient les rives du lac.