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tremblait, et l’enfant est à moi, au moins, bien à moi ! »

C’étaient là d’étranges paroles, mais je n’eus pas le temps d’épiloguer.

— « Vous viendrez avec moi », fit-il rudement. « Je puis avoir besoin d’un parlementaire, et tout autre messager de Ruiz, le hors la loi, se ferait couper la gorge. »

C’était trop vrai. Entre lui et le reste d’une population enfiévrée, il ne pouvait plus y avoir de relations conformes aux coutumes d’une guerre honorable.

Moins d’une demi-heure après, nous étions en selle, volant dans la nuit à folle allure. Il n’avait au camp qu’une escorte de vingt cavaliers, mais se refusa à attendre l’arrivée d’autres hommes. Il dépêcha seulement des messagers à Peneleo, le chef indien, alors en expédition au pied des montagnes, et lui ordonna de rallier les Hautes Terres, pour le rejoindre près du lac appelé l’Œil des Eaux, au bord duquel s’élevait le fort frontière de Pequeña.

Nous franchîmes la plaine avec cette inlassable vélocité qui avait rendu si fameuses les expéditions de Gaspar Ruiz. Nous suivîmes, jusqu’aux précipices de leurs sources, les vallées inférieures. La chevauchée n’était pas sans danger. Une route en corniche sur un mur vertical de basalte contournait des roches en surplomb, et finit par nous faire émerger de la pénombre d’une gorge profonde, pour déboucher sur le plateau de Pequeña.

C’était une plaine d’herbe verte et nette, semée de minces buissons fleuris ; très haut au-dessus de nos têtes, des flaques de neige brillaient dans les crevasses et les replis de grands pans de roches. Le petit lac était rond comme un œil grand ouvert. La garnison du fort faisait rentrer son troupeau de bétail, quand nous débouchâmes dans la plaine. Les lourdes portes vite repoussées, nous laissèrent voir pourtant, par-dessus les larges piquets pointus et noircis de l’enceinte carrée,