Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/7

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en général perdu la mémoire, faute de jamais m’astreindre à prendre de notes avant ou après la lettre. Par la lettre, entendez la composition d’une histoire. Ce dont je me souviens le plus nettement, concernant Gaspar Ruiz, c’est qu’il fut écrit ou du moins commencé moins d’un mois après l’achèvement de Nostromo ; mais, en dehors de la scène (et c’est une scène assez vaste puisqu’elle comprend toute l’Amérique du Sud), le roman et le conte n’ont aucun trait commun, ni l’esprit, ni l’intention, ni encore moins le style. Le ton du récit est, presque tout au long, emprunté au général Santierra, et je remarque avec satisfaction que ce vieux soldat reste bien d’un bout à l’autre conforme à lui-même. À considérer, sans parti pris, les divers modes possibles de présentation, pour une histoire de ce genre, je ne puis honnêtement conclure que le général y soit de trop. Ce vieillard qui parle de ses jours de jeunesse caractérise tout le récit, et lui donne un air de sincérité auquel je n’aurais guère prétendu sans son aide. Quant à sa véritable existence, elle ne m’a en rien servi dans ma rédaction, car toute d’histoire devait rester conforme à la simplicité de son esprit. Au surplus, tout ceci n’est que laborieux effort de mémoire, et je sens aujourd’hui que l’histoire ne pouvait pas être écrite autrement. Quant au personnage de Gaspar Ruiz lui-même, j’en ai trouvé l’idée dans un livre du capitaine Basil Hall, R. N. qui commanda quelque temps, entre les années 1824 et 1828, une escadrille anglaise sur la côte occidentale de l’Amérique du Sud. Son ouvrage, publié vers 1830, obtint un certain succès et doit se trouver encore dans quelques bibliothèques. Les curieux qui se défieraient de mon imagination peuvent consulter cette autorité, et trouveront les faits qui les intéressent relatés dans le second volume, je ne sais plus à quelle page, mais pas très loin de la fin. Un autre document relatif au récit, est une lettre quelque peu ironique et mordante d’un mien ami alors à Burma, qui traitait sans ménagement l’histoire du « gentleman au canon sur le dos ». Je ne soumettrai pas la lettre au public et me contenterai d’affirmer que l’épisode du canon est authentique, ou que du moins tout me permet de croire à sa réalité, parce que je me souviens d’en avoir lu le récit fait avec beaucoup de