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de vengeance. D’ailleurs, sur le chemin où elle avait poussé Gaspar Ruiz, il n’y avait pas d’arrêt possible. Des prisonniers échappés, — bien rares d’ailleurs, — contaient comment quelques mots tombés de sa bouche suffisaient à modifier l’expression du géant, et à ranimer sa fureur hésitante. Ils disaient qu’après chaque escarmouche, chaque excursion de pillage, chaque action heureuse, Ruiz allait droit à la jeune femme pour interroger un visage dont la hauteur ne se relâchait jamais. L’étreinte de cette femme devait être froide comme celle d’une statue, Señores ! Le pauvre garçon s’efforçait de faire fondre ce cœur de glace, et d’y infuser un torrent de sang chaud. Des officiers de la marine anglaise qui le virent, à cette époque, s’étonnèrent de son étrange adoration.

Devant le mouvement de surprise et de curiosité que trahissait son auditoire, le général Santierra s’interrompit un instant.

Oui, des officiers de la marine britannique, reprit-il. Ruiz avait consenti à les recevoir, pour traiter de la libération de prisonniers anglais. Sur le territoire qu’il occupait, de la côte à la Cordillère, s’ouvrait une baie où, dans ce temps-là, faisaient escale pour s’approvisionner en bois et en eau, les navires qui venaient de doubler le Cap Horn. Ayant attiré les équipages à terre, Ruiz captura d’abord l’Hersalia, un brick baleinier, et se rendit plus tard maître par surprise de deux autres vaisseaux, l’un anglais, l’autre américain.

On crut d’abord qu’il rêvait de se monter une flotte. Mais c’était là, vous le comprenez, un irréalisable projet. Il arma pourtant le brick avec une partie de l’équipage captif, sous la surveillance d’un officier et de quelques hommes à lui, et l’envoya au gouverneur espagnol de l’île de Chiloe, avec un rapport sur ses exploits, et une demande de secours pour la guerre contre les rebelles. Le gouverneur ne pouvait pas