Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

une place à sa droite. Après quoi, il leva son verre plein en proposant un toast : « — Caballeros et camarades d’armes, buvons à la santé du capitaine Gaspar Ruiz. » Et quand nous eûmes vidé nos verres : — « Je vais, reprit le Général en Chef, lui confier la garde de notre frontière du sud, pendant que nous irons libérer nos frères du Pérou. Celui que l’ennemi n’a pu empêcher d’aller le frapper en plein cœur, saura protéger les populations paisibles que nous laissons derrière nous pour poursuivre notre tâche sacrée. » Et il embrassa Gaspar Ruiz qui restait silencieux près de lui.

Plus tard, quand on se leva de table, je m’approchai du dernier officier de l’armée pour lui présenter mes félicitations. — « Et peut-être, capitaine Ruiz », ajoutai-je, « voudrez-vous dire à un homme qui a toujours cru à votre loyauté, ce qu’il est advenu de Doña Erminia, cette fameuse nuit ? »

A cette question amicale, il changea de visage. Il me regarda, par-dessous ses sourcils, avec des yeux lourds et ternes de guaso, de paysan. — « Señor teniente », dit-il, péniblement, comme un homme très ému, « ne me parlez pas de la Señorita ; je préfère ne pas penser à elle, quand je suis au milieu de vous. »

Il jeta un regard dur sur la pièce pleine d’officiers devisant et fumant. Naturellement, je n’insistai pas.

Telles furent, Señores, les dernières paroles que je devais lui entendre prononcer de longtemps. Le lendemain même, nous nous embarquions dans notre rude expédition du Pérou, et c’est seulement au milieu de nos propres batailles que nous parvint le bruit des faits et gestes de Gaspar Ruiz. Commis à la garde de notre frontière du sud, il leva une partida. Mais sa mansuétude pour les ennemis vaincus déplut au gouverneur civil, qui était un homme formaliste, inquiet et soupçonneux. Il adressa au Gouvernement Suprême des rapports contre Gaspar Ruiz ; l’un de ces rapports accusait l’