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les agresseurs avaient, sans perdre de temps, allumé dans les magasins. Moins de six heures après leur arrivée, ils filaient à la même allure folle, sans avoir perdu un seul homme. Quelle que fût leur qualité, un pareil exploit ne s’accomplit pas sans une direction meilleure encore.

Je dînais au quartier général quand Gaspar Ruiz, lui-même, vint apporter la nouvelle de son succès. C’était un gros coup pour les troupes royalistes. Comme témoignage, il sortit de son poncho le drapeau de la garnison et le lança sur la table. L’homme était transfiguré ; il y avait, dans l’expression de son visage, quelque chose de triomphal et de menaçant. Il se tenait derrière la chaise du général San Martin, et nous regardait tous fièrement. Il portait une calotte ronde de drap bleu, bordée de galon d’argent, et nous distinguions sur sa nuque brûlée une longue cicatrice blanche.

Un des convives demanda ce qu’il avait fait des officiers espagnols captifs.

Il eut un haussement d’épaules méprisant : « Quelle question ! Dans une guerre de partisans, on ne s’embarrasse pas de prisonniers. Je les ai laissé filer, et voici les dragonnes de leurs épées. »

Il en jeta tout un paquet sur la table, à côté du drapeau. Alors le général Robles, que j’avais accompagné, cria de sa voix forte et épaisse : « Ah, vraiment ? Eh bien, mon brave ami, vous ne savez pas comment il faut mener une guerre comme celle-ci. Voilà ce qu’il fallait faire ! » Et il passa le bord de sa main sur sa gorge.

— Hélas, Señores. Il est trop vrai que, de part et d’autre, cette guerre, héroïque dans son essence, était entachée de férocité. Les murmures que soulevèrent les paroles du général Robles étaient loin d’accuser une réprobation unanime. Seul, le généreux et brave San Martin loua l’humanité de Gaspar Ruiz, et lui désigna