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disant qu’il ne s’estimerait pas digne d’un tel honneur avant d’avoir fait quelque chose.

— « Vous ne sauriez avoir un déserteur pour hôte, Excellence », protesta-t-il avec un rire sourd, et il recula, pour se perdre lentement dans la nuit.

— « Il avait quelqu’un avec lui, notre ami Ruiz », me dit le général en chef, au moment où nous nous éloignions. « J’ai vu deux ombres, pendant un instant. C’est un compagnon bien discret. »

Moi aussi, j’avais vu une seconde ombre rejoindre l’ombre vague de Gaspar Ruiz. C’était une silhouette petite, avec un poncho et un grand chapeau. Stupidement, je me demandais à qui il avait pu oser se confier ainsi. J’aurais bien dû deviner que ce ne pouvait être que cette fille fatale, hélas !

Où il l’avait cachée, je ne le sais. Il avait, on l’apprit plus tard, un oncle, frère de sa mère, petit boutiquier à Santiago. Peut-être est-ce chez lui qu’elle trouva la table et le gîte. En tout cas, c’étaient des conditions assez misérables pour exaspérer son orgueil et tenir allumées sa colère et sa haine. Il est certain qu’elle n’accompagna pas Ruiz dans le premier de ses exploits. Il s’agissait de détruire un stock de matériel de guerre accumulé en secret par les autorités espagnoles, dans une ville du sud, appelée Linares. On n’avait confié à Gaspar Ruiz qu’un petit détachement, mais ces hommes se montrèrent dignes de la confiance de San Martin. La saison n’était guère propice. Ils durent traverser à la nage des rivières gonflées. Ils n’en galopèrent pas moins nuit et jour, devançant le bruit de leur expédition, et se dirigèrent droit sur la ville à travers cent milles de pays ennemi, pour y entrer à l’aube, sabre en main et surprendre la petite garnison. Les défenseurs s’enfuirent sans résistance, en laissant la plupart de leurs officiers aux mains de Gaspar Ruiz.

L’explosion de la poudrière couronna l’incendie que