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Je ramenai donc mes hommes en ville.

Après quelques jours, l’ordre fut rétabli, et les principales familles, y compris la mienne, partirent pour Santiago. Nous y possédions une belle maison. En même temps, la division de Robles fut dirigée sur de nouveaux cantonnements, près de la capitale. Ce changement servait au mieux mes sentiments amoureux et familiaux.

Un soir, je fus convoqué assez tard par mon chef. Je trouvai le général Robles, en uniforme, en train de boire de l’eau-de-vie pure dans un grand verre — précaution, à l’en croire, contre l’insomnie due aux piqûres de moustiques. C’était un bon soldat qui m’a enseigné l’art et la pratique de la guerre. Dieu a dû lui être miséricordieux car ses motifs ne furent jamais dictés que par le patriotisme, malgré son irascibilité. Quant aux moustiquaires, il en tenait l’usage pour efféminé et honteux, indigne d’un soldat.

Je vis du premier coup que son visage, déjà très rouge, trahissait une expression de fort bonne humeur.

— « Aha ! Señor teniente », cria-t-il très haut, en me voyant saluer sur le seuil de la porte. Tenez ! on a des nouvelles de votre hercule. »

Et il me tendait une lettre pliée, dont je vis l’adresse : « Au commandant en chef des armées républicaines. »

— « Cette lettre », reprit très haut le général, a été mise par un gamin dans la main d’une sentinelle du Quartier Général. L’animal pensait à sa bonne amie, sans doute, car avant qu’il ait pu revenir à lui, l’enfant avait disparu parmi les gens du marché, et le soldat proteste qu’il ne le reconnaîtrait pas, pour sauver sa tête.

Mon chef me raconta que le soldat avait remis au sergent de garde la lettre qui avait fini par arriver aux