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Il s’agitait fiévreusement sur le tas de paille poussiéreuse, et la douleur de son cou le faisait gémir et délirer :

— Je montrerai un jour à Esteban que je suis encore vivant, grommelait-il.

Il acceptait les soins en silence, et des jours de douleur passèrent. Les apparitions dans la hutte de la fière royaliste lui apportaient un délicieux réconfort, et se confondaient avec des rêves délirants d’anges descendus auprès de son grabat ; Gaspar Ruiz était instruit des mystères de la religion et avait même appris du prêtre de son village un peu de lecture et d’écriture. Il attendait la jeune fille avec impatience et la voyait, avec un regret poignant, sortir de l’ombre de la hutte pour passer dans le clair soleil. Il s’aperçut qu’il pouvait, de son lit de douleur, évoquer, en fermant les yeux, son visage avec une netteté parfaite. Et cette faculté nouvelle charma les longues heures solitaires de sa convalescence. Plus tard, quand il commença à recouvrer ses forces, il se traînait au soir jusqu’à la maison, et s’asseyait sur le seuil de la porte du jardin.

Dans l’une des pièces, le père dément marchait de long en large et marmonnait entre ses dents avec de brefs et brusques éclats de rire. Dans le vestibule, la mère, assise sur un tabouret, soupirait et gémissait. La fille, vêtue d’une grossière étoffe râpée, son visage pâle et hagard à demi caché sous une misérable mantille, s’appuyait au linteau de la porte. Les coudes aux genoux et la tête dans les mains, Gaspar Ruiz causait à mi-voix avec les deux femmes.

La commune misère de leur déchéance aurait fait une amère dérision d’une observance trop marquée par elles des différences sociales. Gaspar Ruiz le comprenait, dans sa simplicité. Sa captivité chez les royalistes lui permettait de donner aux deux femmes des nouvelles de leurs connaissances. Il les décrivait, et quand il contait l’histoire de la bataille où il avait été repris, les deux