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la chose advint, nul ne peut le savoir. Le désespoir de la jeune fille devait être extrême, et Gaspar Ruiz était un homme docile. Il avait été soldat obéissant. Sa force était comme une énorme pierre posée sur le sol et prête à être lancée à droite ou à gauche par la main qui la ramasse.

Il est évident qu’il dut raconter son histoire aux gens qui lui donnaient un abri si nécessaire. Sa blessure n’était pas dangereuse, mais sa vie ne tenait qu’à un fil. Le vieux royaliste perdu dans sa folie ricanante ne pouvait rien faire ; ce sont les deux femmes qui disposèrent pour le blessé une cachette derrière la maison, dans une cabane du verger. Ce réduit, une abondance d’eau claire tant que la fièvre le brûlait et quelques paroles de pitié, c’est tout ce qu’elles pouvaient donner. Elles partagèrent sans doute avec lui ce qu’elles avaient de nourriture. Ce ne pouvait être que bien peu de chose : une poignée de maïs rôti, peut-être un plat de haricots ou un morceau de poisson avec quelques figues. C’est à une telle misère qu’était réduite cette famille orgueilleuse et naguère florissante.