Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/295

Cette page n’a pas encore été corrigée

mécontentement cruel que l’on n’observe que sur certains bustes d’empereurs romains, c’était lui, sans aucun doute. C’était un type banal, pourtant. Le Comte détourna vivement les yeux. Ce jeune officier qui lisait son journal, là-bas, avait la même mine. Et deux jeunes gens qui jouaient aux dames, un peu plus loin, ressemblaient aussi...

Le Comte baissa la tête avec la terreur secrète d’être éternellement hanté par la vision de cet individu. Il se mit à manger son rizotto. Tout à coup, il entendit le jeune homme, à sa gauche, interpeller le garçon avec un accent de colère.

A cet appel, le garçon de sa table et deux autres serveurs encore, qui baguenaudaient dans une tout autre partie de la salle, se précipitèrent vers lui avec une vivacité obséquieuse qui n’est pas la caractéristique ordinaire des garçons du café Umberto. Le jeune homme murmura quelques mots, et l’un des garçons, se dirigeant rapidement vers la porte la plus proche, cria dans la galerie : — Pasquale ! Eh ! Pasquale !

Tout le monde connaît Pasquale, le vieux bonhomme râpé qui se glisse entre les tables pour offrir aux clients du café, cigares, cigarettes, boîtes d’allumettes et cartes postales illustrées. C’est, à plus d’un titre, un aimable forban. Le Comte vit le vieux coquin grisonnant et hirsute entrer dans le café, l’éventaire pendu au cou par une courroie de cuir, et, sur un mot du garçon, se précipiter de son pas glissant vers la table du jeune homme. Celui-ci voulait un cigare que Pasquale lui offrit servilement. Le vieux colporteur allait sortir, lorsque le Comte, obéissant à une impulsion subite, lui fit signe de rester.

Pasquale s’approcha avec un sourire de familiarité déférente, qui se combinait de façon singulière à l’expression de cynisme scrutateur de ses yeux. Il posa sa boîte sur la table, et en leva le couvercle sans mot dire. Le Comte choisit