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cordial, sous la lourde moustache, et le regard doux de ses yeux las. Quand le train s’ébranla, il me souhaita d’abord : — Bon voyage, en français ; puis, voyant mon inquiétude, m’encouragea en son anglais très correct et un peu emphatique : — Tout ira pour le mieux..., pour le mieux... vous verrez !

La maladie de mon ami ayant pris un tour décidément favorable, je rentrai à Naples dix jours plus tard. Je ne puis dire que j’eusse beaucoup pensé au Conte pendant mon absence, mais en entrant dans la salle à manger, je le cherchai à sa place habituelle. Je pensais qu’il avait pu retourner à Sorrente, à son piano, à ses livres et à sa pêche. Il était grand ami des bateliers, et pêchait souvent à la ligne, de leurs barques. Mais je distinguai tout de suite sa tête blanche entre toutes les autres, et perçus de loin quelque chose d’insolite dans son attitude. Au lieu de se tenir droit et de regarder autour de lui, avec son urbanité ordinaire, il s’affalait sur son assiette. Je restai quelque temps devant lui avant de lui voir lever des yeux un peu égarés, si la correction de son esprit me permet d’employer un terme aussi fort.

— Ah ! c’est vous, cher monsieur, me dit-il. J’espère que tout va bien ?

Il se montra très aimable sur le compte de mon ami. Il était toujours aimable, d’ailleurs, de cette amabilité des gens dont le cœur est sincèrement humain. Ce soir-là, pourtant, il l’était avec effort. Ses tentatives de conversation aboutissaient à de longs silences. Je m’avisai qu’il pouvait avoir été indisposé. Mais sans me laisser formuler de question, il murmura :

— Vous me voyez bien attristé.

— J’en suis fâché, dis-je. Vous n’avez pas reçu de mauvaises nouvelles, j’espère ?

Il me remercia de l’intérêt que je lui témoignais. Non, Dieu merci, il n’avait pas reçu de mauvaises nouvelles.