Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/280

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il devait avoir soixante ans, ou un peu plus. Il était communicatif. Je n’irai pas jusqu’à dire bavard, — mais nettement communicatif.

Il avait tâté de divers climats, me dit-il ; d’Abbazia, de la Riviera, d’autres endroits encore, mais le seul climat qui lui convînt vraiment était celui du golfe de Naples. Les anciens Romains qui étaient experts dans l’art de la vie, savaient bien ce qu’ils faisaient lorsqu’ils bâtissaient leurs villas sur ces rives, à Baïes, à Vico, à Capri. Ils venaient demander la santé à ce golfe, et emmenaient avec eux, pour charmer leurs loisirs, leur suite de mimes et de joueurs de flûte. Il estimait que les Romains des hautes classes devaient être fort prédisposés à de douloureuses affections rhumatismales.

C’est la seule opinion personnelle que je lui aie entendu exprimer. Elle ne reposait sur aucune érudition spéciale. Il ne savait rien de plus des Romains que ne doit en savoir un homme du monde un peu instruit. Il parlait par expérience personnelle, pour avoir lui-même souffert d’une dangereuse et pénible affection rhumatismale, jusqu’au jour où il avait trouvé le soulagement dans ce coin particulier de l’Europe méridionale.

C’est trois ans auparavant qu’il y était venu pour la première fois, et depuis, il était toujours resté fidèle aux rives du golfe, soit dans un des hôtels de Sorrente, soit dans une petite villa louée à Capri. Il possédait un piano, quelques livres, et nouait des relations passagères d’un jour, d’une semaine, d’un mois, parmi le flot des voyageurs d’Europe. On le voyait se promenant dans les rues ou les ruelles, bientôt familier aux mendiants, aux boutiquiers, aux bambins, aux gens de la campagne, causant aimablement par-dessus les murs avec les contadini, et rentrant dans son hôtel ou sa villa pour s’asseoir au piano et « se faire un peu de musique », avec sa blanche chevelure retroussée et sa