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ce n’est pas l’homme en lui, mais l’amoureux qui avait redouté la mort ; en elle il voyait non le danger, mais le rival possible, non l’ennemie de la vie, mais l’obstacle à son mariage. Et voilà que la mort était vaincue et le rival écarté, entièrement écarté, écrasé...

Il ramassa machinalement ses pistolets, et au lieu de tirer dans la poitrine de Féraud, il exprima la pensée qui obsédait son esprit :

— Vous ne vous battrez plus en duel, dorénavant !

Son accent de satisfaction paisible et ineffable fut intolérable au stoïcisme du général Féraud :

— Ne musardez pas, alors, maudit muguet d’état-major ! hurla-t-il tout à coup, sans cesser de dresser fièrement son visage impassible sur un corps très droit.

Le général d’Hubert désarma soigneusement ses pistolets. Ce geste fut observé avec des sentiments contradictoires par son adversaire.

— Vous m’avez manqué deux fois, dit froidement le vainqueur, qui prit les deux pistolets dans une seule main, et la seconde fois à un pied à peine de distance. Par toutes les règles du combat singulier, votre vie m’appartient. Cela ne veut pas dire que je veuille en disposer maintenant.

— Je n’ai que faire de votre longanimité, grommela d’un ton farouche le général Féraud.

— Laissez-moi vous faire observer que cela ne me regarde pas, fît d’Hubert, dont toutes les paroles étaient dictées par une délicatesse consommée. La colère lui aurait fait tuer cet homme, mais, de sang-froid, il répugnait à humilier, par un déploiement de générosité, cet être absurde, ce vieux soldat de la Grande Armée, ce compagnon des prodiges et des terreurs de la grande épopée militaire. Vous n’avez pas la prétention de m’indiquer ce que je dois faire de ce qui m’appartient !

Le général Féraud tressaillit, et l’autre continua :

Vous m’avez forcé, au nom de l’honneur, à tenir