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prudent. D’Hubert hasarda un œil hors de son abri, et n’aperçut rien. Une telle ignorance de la situation de son adversaire comportait un sentiment d’insécurité. D’Hubert se sentait affreusement exposé sur le flanc. Tout à coup il vit de nouveau quelque chose de blanc passer devant lui. Ha ! l’ennemi était encore en face, alors. Il avait eu peur d’un mouvement tournant. Mais sans doute le général Féraud n’y avait-il même pas songé. D’Hubert le vit passer sans précipitation d’un arbre à l’autre, en droite ligne. Avec un grand calme, il affermit sa main. Trop loin encore. Il se savait tireur médiocre. Il devait jouer une partie d’attente... pour tuer.

Voulant profiter de la plus forte épaisseur du tronc, il s’allongea sur le sol. Ainsi étendu, la tête du côté de son adversaire, il se trouvait entièrement protégé. Il ne s’agissait plus de s’exposer, maintenant ; l’ennemi était trop près. La conviction que Féraud ne tarderait pas à faire un geste téméraire était un baume à l’âme du général d’Hubert. Mais il était bien gênant, et médiocrement utile de tenir le menton levé au-dessus du sol. Il pencha un peu la tête de côté, et en exposa une petite partie avec une certaine appréhension, bien que, somme toute, sans grand péril. Son adversaire ne pouvait pas le chercher si près de la terre. Il aperçut au vol le général Féraud qui passait d’arbre en arbre avec une prudente résolution. — Il se moque de mon tir, se dit-il, avec cette compréhension de l’âme de l’adversaire qui aide si bien à gagner les batailles. Il s’en trouva confirmé dans sa tactique d’immobilité. — Si je pouvais voir derrière moi aussi bien que devant, se disait-il avec anxiété, en souhaitant l’impossible.

Il lui fallut une certaine force de caractère pour lâcher ses pistolets, mais, obéissant à une impulsion soudaine, il les posa pourtant, très doucement, à droite et à gauche. A l’armée, on l’accusait volontiers de jouer au