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— Entendu ! à six heures moins quatre à la vôtre ; moins sept à la mienne.

C’est le cuirassier qui resta près du général d’Hubert, son œil unique immuablement fixé sur le cadran blanc de la montre qu’il tenait dans le creux de sa main. Il ouvrit la bouche, attendant le battement de la dernière seconde pour lancer le mot :

— Avancez.

Le général d’Hubert se mit en marche et passa de l’éclat d’un matin ensoleillé de Provence à l’ombre fraîche et aromatique des pins. Le soleil était net entre les troncs rougeâtres dont la multitude, inclinée sous des angles variés, lui fit d’abord un peu tourner la tête. Il lui semblait être au début d’une bataille, et la confiance en lui qui faisait sa force dominante se réveilla dans son cœur. Il se sentait tout à son affaire maintenant, et le problème n’était plus que de tuer son adversaire. Il ne fallait rien moins pour le délivrer de ce cauchemar imbécile. Il ne servirait à rien de blesser une brute pareille. Il avait une réputation d’ingéniosité et ses camarades, bien des années auparavant, aimaient l’appeler le stratégiste. En fait, il savait penser en face de l’ennemi. Féraud, au contraire, n’était qu’un combattant, mais un tireur émérite, malheureusement.

— Il faut que j’essuie son feu à la plus grande distance possible, se dit-il.

A ce moment il vit quelque chose de blanc remuer au loin entre les arbres, la chemise de son adversaire. Il fit résolument un pas entre les troncs, s’exposant en plein. Puis, rapide comme l’éclair, il bondit en arrière. La tentative était hasardeuse, mais elle fut couronnée de succès. D’Hubert entendit le bruit sec d’un coup de feu, en même temps qu’un petit morceau d’écorce détaché par la balle lui piquait douloureusement l’oreille.

Le général Féraud, avec une balle perdue, devenait