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IV


Gaspar Ruiz, grimpé sur le bord de la fenêtre, s’y était assis, les pieds contre l’épaisseur du mur, et les genoux légèrement pliés. L’ouverture n’était pas tout à fait assez large pour la longueur de ses jambes. Je crus, dans mon abattement, qu’il prétendait garder la fenêtre pour lui seul ; on eût dit qu’il cherchait une position de repos. Aucun des prisonniers n’osait plus l’approcher, maintenant qu’il avait les mains libres.

— « Por Dios ! » entendis-je le sergent grommeler près de moi ; « je vais lui envoyer, une balle dans la tête et nous débarrasser de lui ; c’est un condamné. »

Je le regardai avec colère : — « Le général n’a pas confirmé la sentence », répliquai-je, non sans sentir, au fond du cœur, l’inanité de ces paroles. La sentence ne demandait pas de confirmation. « Vous n’avez pas le droit de le tuer s’il n’essaie pas de s’enfuir. »

— « Mais, sangre de Dios ! » hurla le sergent, en épaulant son fusil, « le voilà qui s’échappe. Regardez ! »

Comme si ce Gaspar Ruiz m’eût jeté un sort, je relevai brusquement le fusil, et la balle fila par-dessus le toit. Le sergent jeta son arme à terre, et se tint coi, les yeux grands ouverts. Il eût pu ordonner à ses hommes de tirer mais il n’en fit rien. Et d’ailleurs, les soldats n’auraient pas obéi, sans doute, à ce moment-là.